L’imposition des rémunérations des associés passe aux BNC
À RETENIR
- La rémunération de l’exercice libéral en SEL est soumise au régime d’imposition des BNC sans distinction de la forme sociale de la SEL, ni de la désignation éventuelle de l’associé aux fonctions de dirigeant.
- La rémunération des fonctions de dirigeant reste seule soumise au régime d’imposition des traitements et salaires, mais ces fonctions sont entendues restrictivement, dans une proportion de 5 % de la rémunération globale.
- S’agissant des gérants majoritaires, il incombe à l’associé concerné et à la SEL de démontrer le caractère indissociable des fonctions techniques et des fonctions de mandataire social s’ils entendent assujettir l’intégralité de la rémunération au bénéfice de l’article 62 du CGI.
Les nouvelles règles ont l’avantage de clarifier la situation, mais elles la complexifient aussi. En bref, c’est un travail toujours inachevé.
La création des sociétés d’exercice libéral (SEL) avait pour objectif de permettre aux professionnels libéraux de bénéficier de solutions financières et fiscales plus favorables propres aux sociétés commerciales de capitaux soumises à l’impôt sur les sociétés. À titre personnel, il s’agissait aussi, selon les commentaires de l’époque, de leur faire bénéficier du statut fiscal des salariés jugé plus favorable.
Pour autant, la loi de 1990 sur les SEL ne contenait pas de dispositions particulières fixant le statut fiscal des associés exerçant en SEL, laissant le champ libre à l’émergence d’une doctrine décidée par l’administration fiscale, sous le contrôle du juge, en l’occurrence exprimé par la jurisprudence du Conseil d’État.
L’administration fiscale et le juge
Le caractère hybride de la SEL – qui allie l’exercice d’une profession libérale, civile par nature, et la forme commerciale des sociétés de capitaux – a pesé sur la définition précise des contours de ce statut fiscal.
C’est par la fameuse réponse ministérielle « Cousin » que l’administration fiscale a, en 1996, fixé une règle considérée comme simple et satisfaisante : la rémunération perçue par les associés de SEL, puisqu’ils ne disposent pas d’une clientèle personnelle qui est exploitée par la SEL, était soumise à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires. Cette interprétation fut officialisée par son intégration au Bulletin officiel des Impôts en septembre 2012 (BOI-RSA-GER-10-10-20).
S’agissant spécialement des gérants majoritaires des SELARL, ils avaient quant à eux le bénéfice des dispositions de l’article 62 du code général des impôts qui prévoit que les rémunérations allouées aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée et admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés sont soumises à l’impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires.
Ainsi, les associés de SEL bénéficiaient tous du même statut, qu’ils exercent en SELARL ou en Selas, qu’ils soient dirigeants (et donc biologistes responsables) ou non.
C’était sans compter sur l’analyse du Conseil d’État, qui a jugé, dans un arrêt du 16 octobre 2013, qu’un avocat qui n’est soumis à aucun lien de subordination avec la SEL dont il est associé doit être imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC). Le fait qu’il n’exploite pas une clientèle personnelle était considéré comme indifférent.
Cette jurisprudence, répétée en 2017 s’agissant d’un médecin biologiste, a plongé les professionnels libéraux et leurs conseils dans l’incertitude. Fallait-il demeurer confiant vis-à-vis de l’administration fiscale, puisqu’il était légitime de lui opposer sa propre doctrine ? ou fallait-il anticiper l’effet d’une jurisprudence annonciatrice de perturbations ?
Ces interrogations étaient d’autant plus grandes que l’application pure et simple du régime des BNC à un associé en SEL soulevait un grand nombre de difficultés sur la détermination du régime exact d’imposition, toujours à cause du caractère hybride de la situation. Fallait-il déposer une déclaration 2035 relative aux BNC ? Fallait-il facturer la SEL, avec TVA ou non ? Quelles étaient alors les charges déductibles des recettes que constituaient les rémunérations versées par la SEL ? Quid des déductions « Madelin » ?
Émergence de nouvelles questions
Les organisations du secteur libéral ont largement défendu une extension du mécanisme prévu par l’article 62 du CGI à tous les associés de SEL, sans distinction ou nom d’une simplification, d’une égalité de traitement face à des situations économiques similaires (quelle différence essentielle existe-t-il entre deux professionnels libéraux exerçant respectivement en SELARL et en Selas ?) et d’une sécurité juridique légitimement attendue.
L’administration fiscale a pris position en décembre 2022, mais en douchant les espoirs entretenus. Opérant un virage à 180 degrés, l’ensemble des rémunérations perçues par les associés de SEL au titre de leurs fonctions techniques sont assujetties au régime d’imposition des BNC. Bercy parle d’une mise à jour de la doctrine administrative tirant les conséquences de la jurisprudence du Conseil d’État.
L’administration fiscale s’est donc rangée à la jurisprudence du Conseil d’État et, s’appuyant sur la distinction bien connue en matière d’Urssaf entre les rémunérations issues de l’exercice des fonctions de mandataire social et celles issues de l’exercice professionnel libéral stricto sensu (les fonctions « techniques »), cantonne strictement le bénéfice de l’article 62 dont bénéficient les associés gérants majoritaires en SELARL.
Seule consolation, l’administration fiscale a différé l’application du nouveau régime aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2024, qui seront déclarés en 2025. Cette nouvelle doctrine a donné lieu à une mise à jour du BOI (BOI-RSA-GER-10-30).
Les éléments essentiels de l’imposition des revenus
Il faut retenir des nouvelles règles qu’elles reposent fondamentalement sur la distinction entre la rémunération perçue au titre des fonctions techniques et celle perçue au titre de l’exercice des fonctions de dirigeant comme mandataire social inscrit sur l’extrait K-bis de la SEL.
Rémunération pour l’exercice de la profession libérale
La rémunération de l’activité libérale des associés correspondant à l’exercice des fonctions techniques et est imposée dans la catégorie des BNC pour tous les associés, qu’ils soient, ou non, mandataires sociaux et quelle que soit la forme sociale de la société : SEL, SELARL, Selas, Selafa, SELCA, etc.
Il s’agit là d’un traitement égalitaire simplificateur, même s’il ne va pas dans le sens souhaité.
À titre d’exception, les gérants majoritaires pourraient conserver le bénéfice de l’article 62 du CGI pour l’ensemble de leur rémunération s’il peut être démontré que les fonctions techniques sont indissociables du mandat social. En pratique, et compte tenu des critères mis en œuvre par l’administration fiscale pour définir les tâches reliées à l’exercice du mandat social, la preuve parait difficile, voire impossible, à apporter.
Rémunération pour l’exercice du mandat social
L’administration fiscale précise le statut des gérants majoritaires de SELARL et de SELCA.
Elle propose à cette occasion une vision très restrictive de l’exercice des tâches qui incombent aux dirigeants sociaux en réservant cette part aux seules activités strictement rattachées à l’exercice du mandat social de représentation de la SEL. Elle illustre sa position en énumérant : les convocations aux assemblées, les décisions relatives au déplacement du siège social, la représentation de la SEL dans ses rapports avec les associés et les tiers.
En revanche – et c’est là l’essentiel -, l’administration fiscale considère les tâches de nature « administrative », telles que la facturation des clients, l’encaissement, les prises de rendez-vous, les approvisionnements en fournitures ou la gestion des équipes, sont inhérentes à la pratique de l’activité libérale. Elles relèvent donc de la rémunération des fonctions techniques.
Autrement dit, les tâches de direction et de gestion n’entrent pas en ligne de compte pour déterminer la rémunération d’un dirigeant mandataire social.
L’argument pouvait s’entendre pour la gestion des rendez-vous et la facturation d’un client ou d’un patient dénommé ; s’agissant de la prise en charge des tâches relatives aux fonctions RH, administratives, juridiques et financières, de celles afférentes à la qualité et aux relations avec les fournisseurs, cette position apparait plus contestable.
En tout état de cause, elle permet d’admettre, pour l’administration fiscale, à titre de règle pratique, qu’une part de 5 % de la rémunération d’ensemble perçue par les gérants majoritaires de SELARL et les gérants de SELCA au titre de leurs activités libérale et de gérance correspond aux revenus afférents à leurs fonctions de gérant, imposables dans les conditions de l’article 62 du CGI, qu’il soit possible de les distinguer, ou non, de la rémunération technique.
Les nouvelles règles reposent sur la distinction entre la rémunération perçue au titre des fonctions techniques et celle perçue au titre de l’exercice des fonctions de dirigeant comme mandataire social.
Qu’en est-il des dirigeants de Selas et Selafa ?
Ces solutions paraissent devoir leur être transposées ; aucun élément ne permet d’en douter véritablement. Toutefois, le BOI de décembre 2023 ne traite pas le sujet.
L’harmonisation voulue par le secteur libéral n’a pas été opérée dans le sens souhaité. L’associé de SEL perd l’avantage de l’abattement forfaitaire de 10 % pour frais professionnels. Les fonctions de direction et de gestion font l’objet d’une définition bien restrictive, leur part dans la rémunération globale étant en outre évaluée à 5 %, ce qui paraitra bien faible et éloigné du réel aux associés qui dirigent leur SEL au quotidien, dans des structures où il n’existe pas nécessairement de salariés pour prendre en charge toutes les fonctions de soutien.
Des sujets en suspens
Sera-t-il possible de s’éloigner du critère des 5 % et à quelles conditions ?
L’interposition d’une SPFPL qui capte les rémunérations sous forme de dividendes, spécialement lorsqu’il s’agit de faire face à un emprunt, est-elle un modèle mis à mal ?
Ni le gouvernement ni le législateur ne se sont particulièrement illustrés dans cette affaire, laissant à l’administration fiscale, en réaction à l’interprétation du Conseil d’État, le lot de dire la règle fiscale.
Ils avaient pourtant la possibilité de le faire à l’occasion de la réforme du droit des SEL qui a donné lieu à la publication de l’ordonnance 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales règlementées, qui entrera en vigueur le 8 aout 2024.
LES AUTRES ENSEIGNEMENTS
Plusieurs points sont tranchés par ailleurs par l’administration fiscale.
- Le caractère hybride de la situation continue de produire ses effets et l’administration fiscale n’y échappe pas. L’associé est à titre individuel soumis au régime BNC, mais, pour autant, il n’exploite pas la patientèle et n’exerce pas en son nom. Par conséquent, il n’y a pas lieu à l’établissement d’une facture entre lui et sa SEL et la rémunération versée n’entre pas dans le champ de la TVA.
- L’associé n’est pas redevable de la CFE, sauf s’il est démontré qu’il exerce en réalité une activité propre, ce qui supposerait l’existence d’une patientèle propre, distincte de celle de la SEL.
- Dès lors que les seuils sont satisfaits, l’associé peut bénéficier du régime micro-BNC.
Plusieurs points pratiques rallient les suffrages.
- L’imposition des BNC se fait par l’établissement d’une déclaration 2035 selon une comptabilité « recettes-dépenses » qui intègre, au titre des recettes, la rémunération perçue et l’ensemble des charges et frais supportés par la SEL pour le compte de l’associé (cotisations obligatoires et facultatives, frais, etc.). Au titre des dépenses, l’associé peut déduire ces mêmes charges, outre les autres charges supportées directement, dès lors qu’elles sont bien évidemment rattachées à l’exercice. Il peut s’agir de frais de formation, de déplacement, d’adhésion à des régimes de prévoyance facultatifs, d’achat de documentation, etc. Il s’agira donc de tenir une comptabilité personnelle, distincte de celle de la SEL.
- Il apparait nécessaire :
- de respecter les règles de fixation des droits à rémunération des dirigeants prévues par la loi et les statuts de la SEL ;
- de disposer, pour chaque associé, d’un compte bancaire professionnel pour isoler les rémunérations et les dépenses professionnelles.
Par François Marchardier,