ADN tumoral circulant : Vers une pratique courante ?
Déjà validée et utilisée dans la majorité des laboratoires d’oncogénétique, et incluse dans les référentiels oncologiques comme celui du cancer bronchique non à petites cellules, la recherche d’ADN tumoral circulant dans la prise en charge des cancers est tout aussi prometteuse qu’elle l’est déjà pour le dépistage prénatal non invasif des aneuploïdies fœtales ou la détermination du génotype RHD fœtal à partir du sang maternel. « L’ADN libre circulant est composé de molécules d’ADN double brin non liées à des protéines et issues de la nécrose des cellules, mais aussi sécrétées de manière active par des cellules tumorales », a précisé le Dr Pierre Filhine-Trésarrieu, pharmacien-biologiste au laboratoire B2A d’Épinal, lors des Biomed-J qui se sont tenues fin mai à Paris.
L’ADN libre circulant se retrouve dans divers fluides biologiques : le sang, mais aussi le LCR (permettant la détection de mutations localisées dans le système nerveux central) ou encore l’urine (l’intérêt concerne alors les cancers prostatiques et ceux de la vessie). L’ADN libre circulant est constitué par la totalité des molécules d’ADN retrouvées dans les divers fluides biologiques et notamment le plasma des patients ; l’ADN tumoral circulant n’en représente donc qu’une partie – une faible quantité seulement – qui dérive des cellules tumorales, et les fréquences de variants alléliques (VAF) sont faibles. Le nombre de molécules d’ADN portant des altérations est ainsi très faible, ce qui pose des défis techniques.
Dans l’organisme, l’ADN tumoral circulant est éliminé par divers moyens, tels que les enzymes DNAses et certains organes comme le rein, le foie et la rate. Sa demi-vie est très courte, de 15 minutes à quelques heures. Il peut être recueilli grâce à des biopsies liquides, qui sont des recueils simples, non invasifs et à risque très faible. La biopsie liquide peut consister en une simple prise de sang du patient. Elle peut alors permettre de retrouver, dans le plasma, tout type d’altération moléculaire. La biopsie tissulaire, elle, est une procédure invasive présentant un risque non négligeable pour le patient ; toutefois, c’est elle qui constitue aujourd’hui encore le gold standard (c’est-à-dire la technique de référence). Elle permet de poser le diagnostic, grâce à l’anatomo-pathologie. La biologie moléculaire sur tissu est complémentaire, servant par exemple pour les pronostics ou les tests compagnons lors de la mise en place des thérapies.
Pré-analytique et analytique
En pratique, le plasma a été choisi en préférence au sérum parce qu’il permet d’avoir une dilution moins important de l’ADN tumoral circulant dans de l’ADN circulant issu de cellules saines. Les tubes STREK sont utilisés : ils protègent de la lyse cellulaire et de la dégradation des ADN libres circulants, ce qui permet un délai pré-analytique toléré plus long. Une double centrifugation des échantillons est requise.
Si la phase pré-analytique est quasi standardisée, des questions demeurent. Quel volume prélever, sachant qu’on est en présence de patients fragiles ? Bien souvent, c’est la quantité de 20 ml de sang, parfois 30 ml, qui a été retenue. Par ailleurs, quand faut-il prélever, sachant que la demi-vie est courte ? En matière d’extraction, de nombreux kits commerciaux existent, mais leurs performances varient.
Au niveau analytique, comme les VAF sont très faibles, il faut disposer de méthodes très sensibles et spécifiques, parmi lesquelles la PCR numérique1. Son principe est l’amplification unique dans chaque gouttelette- émulsion. L’interprétation est plus simple qu’avec le séquençage haut débit, mais cette méthode ne permet de suivre que quelques altérations. Par exemple, pour la droplet digital PCR, une méthode de PCR numérique, l’ensemble des gouttelettes doivent passer dans une cytométrie de flux ; un laser vient exciter le fluorochrome, puis la fluorescence est détectée : le signal est donc soit présent, soit absent. L’avantage est de pouvoir identifier des variants à des fractions alléliques très faibles.
Autre méthode : le séquençage haut débit2. Il y a plusieurs techniques (amplicons, capture, shallow-whole génome pour rechercher des variations du nombre de copies ou CNV). Grand avantage : la recherche ne se limite pas à quelques altérations. De plus, il est plus aisé de suivre l’hétérogénéité clonale dans le plasma. Des limitations existent toutefois : cout, quantité importante d’ADN libre circulant à extraire, erreurs analytiques possibles comme de faux positifs et de faux négatifs.
D’autres méthodes ont donc été développées. Par exemple, CAPP-Seq3 (pour cancer personalized profiling by deep sequencing) permet, grâce au design d’un panel de captures limité, de retrouver au moins une altération chez plus de 95 % des patients. Quel est le principe de CAPP-Seq ? Analyser, par capture d’hybridation et séquençage ultraprofond, les mutations génétiques, les insertions et les délétions, les fusions et les variations du nombre de copies.
Vaste potentiel
« Potentiellement, les utilités de l’ADN tumoral circulant sont très vastes et concernent toutes les phases du cancer2 : screening, pronostic, monitoring, détection de la maladie résiduelle, diagnostic précoce, rechute et identification de mutations de résistance », indique encore le Dr Filhine-Trésarrieu. Énormément d’études sont publiées à ce sujet.
Concernant le screening, une étude a, par exemple, démontré que le diagnostic du carcinome hépatocellulaire chez des patients cirrhotiques pouvait être amélioré en comparant la méthylation du promoteur de septine 9 dans le plasma versus l’Alphafoetoprotéine (AFP). Un kit commercial marqué CE a été utilisé pour cette étude.
Et au niveau pronostic ? Deux tiers des patients ont une tumeur localisée pour laquelle une thérapie définitive est proposée (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), mais certains patients peuvent rechuter. Pour éviter ce risque, une thérapie adjuvante ou de consolidation peut être instaurée ; or celle-ci peut s’avérer toxique. L’ADN tumoral pourrait donc être un marqueur de pronostic, sensible et spécifique de la tumeur. Ainsi, dès la fin du traitement, si l’on prélève du plasma au patient et que de l’ADN tumoral y est détecté, le risque de rechute est plus fort. À l’inverse, en l’absence d’ADN tumoral, le risque de rechute est plus faible.
En termes de monitoring, on peut citer l’essai suivant. 30 patientes atteintes du cancer du sein ont été suivies, et plus particulièrement leur charge tumorale, pour surveiller le traitement avec trois biomarqueurs : le CA 15-3, classiquement dosé dans les laboratoires, les cellules tumorales circulantes et l’ADN tumoral circulant. Résultat : lorsqu’une patiente répond bien au traitement, une négativation de l’ADN tumoral circulant est observée, alors que la dynamique du CA 15-3 reste très faible, ce qui guide peu le clinicien. L’ADN tumoral circulant pourrait donc aussi servir pour monitorer la tumeur et observer la réponse à des traitements.
Écueils persistants
Avant de passer en routine, des écueils demeurent. Ainsi, en termes de technique, une détermination précise de limite de détection de chaque méthode devra être effectuée. Par ailleurs, si les techniques sont matures, une standardisation est nécessaire. Une EEQ européenne (examen de qualification européen) datant de 2018, pour 42 laboratoires a, par exemple, mis en évidence qu’il existait des protocoles variés d’extraction, de quantification et d’analyse, avec au total 6,9 % d’erreurs pour cette EEQ, et donc possiblement de faux négatifs.
En outre, des erreurs techniques persistent, de même que de possibles contaminations entre échantillons, par l’environnement, entre autres. De faux négatifs et faux positifs existent au niveau analytique et bio-informatique.
De bonnes pratiques seront à rédiger et diffuser pour standardiser ces analyses. La confirmation de l’intérêt initial théorique par rapport aux résultats d’études cliniques sera elle aussi déterminante.
« Il faudra également définir les modalités de remboursement, souligne le Dr Filhine-Trésarrieu. Comment rembourser toutes ces analyses, et notamment dans un contexte où l’État français veut diminuer les dépenses liées à la biologie médicale ? Ces tests sont très chers. Il faudra donc encore un peu de patience pour voir s’installer ces techniques en pratique courante en laboratoire de ville et dans la prise en charge des patients… »