Les défis de l’immunohématologie érythrocytaire en 2025
390 antigènes à la surface des globules rouges classés en 47 systèmes de groupes sanguins (correspondant à 47 gènes) sont aujourd’hui caractérisés dans la population humaine mondiale. En 2021, « seulement » 378 antigènes érythrocytaires étaient connus. Bien du chemin a donc été parcouru depuis la description du premier système de groupe sanguin (ABO) en 1901, puis la caractérisation du groupe rhésus en 1940. Et le phénotypage des érythrocytes pour déterminer les antigènes présents à leur surface ne cesse de se complexifier.
Assurer la sécurité transfusionnelle
Ce phénotypage, ainsi que la détection et l’identification des anticorps anti- érythrocytaires, est un examen généralement réalisé dans le cadre d’un bilan préopératoire ou lors d’un suivi obstétrical, mais également lors de la qualification des dons de sang par l’Établissement français du sang (EFS, voir article p. 20). Ces examens d’immunohématologie érythrocytaire sont essentiels pour assurer la compatibilité entre un donneur et un receveur lors d’une transfusion sanguine. Leur objectif est double : éviter les accidents immunohémolytiques, risque majeur de la transfusion sanguine, résultant de la transfusion d’hématies porteuses d’un antigène spécifique d’un anticorps présent chez le patient receveur ; et limiter le risque d’immunisation, en apportant un antigène absent chez le receveur, qui rendrait problématique toute transfusion ou grossesse ultérieures.
Que ce soit des examens de routine – phénotypage ABO, RH1 et RH-KEL1, dépistage d’anticorps antiérythrocytaire (RAI), épreuve de compatibilité et examen direct à l’antiglobuline (Coombs direct) – ou plus spécialisés, tels que le titrage d’anticorps ou l’identification d’anticorps antiérythrocytaires irréguliers, les conditions de réalisation de ces examens sont pour la plupart encadrées par l’arrêté du 15 mai 20181.
La technique en carte gel utilise la migration des globules rouges et du plasma à travers une colonne de gel imprégnée d’anticorps spécifiques.@ K. Delaval
Une automatisation croissante des examens
« Les techniques de phénotypage et de détection d’anticorps se sont fortement automatisées depuis une vingtaine d’années, optimisant ainsi le délai de mise à disposition des résultats aux cliniciens », constate Laurence Delugin, biologiste médicale responsable de l’immunohématologie érythrocytaire à l’EFS Bretagne. Les automates commercialisés aujourd’hui en France se fondent sur deux types de technologies différentes : en carte gel ou en microplaques.
La technique en carte gel utilise la migration des globules rouges et du plasma à travers une colonne de gel imprégnée d’anticorps spécifiques. Après centrifugation, les globules rouges non agglutinés migrent au fond de la colonne, tandis que les complexes antigène-anticorps agglutinés sont retenus dans le gel. La position des globules rouges dans la colonne permet d’interpréter l’intensité de la réaction, qui est lue automatiquement par la machine. La technique en microplaques s’effectue dans des plaques à microcupules, où le plasma et le sérum du patient sont mis en contact avec des hématies tests. Après incubation, lavage et ajout d’un réactif, la présence d’anticorps est détectée par l’image d’agglutination des globules rouges. La lecture des résultats est également automatisée.
Il existe plusieurs fournisseurs pour chacune de ces technologies, proposant chacun des modèles adaptés à des flux variés. « Nous fournissons des automates utilisant la technologie en carte gel et nous proposons des modèles avec des cadences différentes, adaptés à la diversité des volumes à traiter par chaque laboratoire », illustre Cécile Lesturgeon, directrice marketing en immunohématologie chez Bio-Rad. « Les différents modèles que nous commercialisons en technologie carte gel visent à répondre aussi bien aux besoins des banques de sang qu’à ceux des laboratoires privés et hospitaliers », indique pour sa part Mathieu Pelpel, directeur de Grifols Diagnostic France.
« Par ailleurs, depuis quatre ans, les titrages commencent également à être automatisés », constate la docteure Delugin. Pour les examens complexes, tels que l’exploration d’allo-immunisation complexe ou la quantification de certains anticorps, l’immunohématologie utilise encore beaucoup de techniques manuelles, qui demandent une expertise pour poser leur indication et interpréter leurs résultats. « Tout nouveau biologiste intégrant l’EFS suit un parcours de formation interne à l’EFS de plusieurs semaines qui permet d’obtenir les habilitations nécessaires sur les activités d’immunohématologie et délivrance de produits sanguins labiles. Ce type de poste est accessible dès la sortie de l’internat et permet de devenir, à terme, expert en biologie transfusionnelle, un profil de poste très intéressant ! » souligne la biologiste.
La technique en microplaques s’effectue dans des plaques à microcupules, où le plasma et le sérum du patient sont mis en contact avec des hématies tests.@K. Delaval
Détecter et caractériser les groupes sanguins rares
Pour les tests les plus spécialisés, les laboratoires privés et hospitaliers peuvent faire appel à l’EFS ou au LBMR du Centre national de référence en hémobiologie périnatale dans le cadre d’un suivi de la femme enceinte (voir article p. 16). Par ailleurs, toute détection d’un phénotype ou d’un génotype érythrocytaire rare doit faire l’objet d’une transmission au Centre national de référence pour les groupes sanguins (CNRGS), selon l’arrêté du 15 mai 2018 (voir encadré). Les groupes sanguins rares sont ceux dont la fréquence est inférieure à 4 ‰ dans la population générale. En France, on estime que 700 000 à 1 million de personnes sont dans ce cas. « On observe des différences de groupes sanguins en fonction des origines géographiques des individus et, avec les flux migratoires des populations, les variants rares sont en augmentation », constate la docteure Delugin.
En pratique, le LBM doit adresser au CNRGS un échantillon biologique du phénotype rare suspecté, ainsi que les résultats des examens immunohématologiques qu’il a effectués pour le patient. Si le groupe rare est confirmé, le CNRGS transmet au LBM demandeur des documents à remettre au patient. Un courrier explicatif est également joint, invitant la personne à venir donner son sang à l’EFS, qui pourra orienter le don vers la cryoconservation à la banque nationale de sangs de phénotypes rares en fonction de sa rareté.
L’EFS dispose également de 3 laboratoires de biologie moléculaire des groupes sanguins qui permettent de déterminer le phénotype du patient quand les techniques sérologiques atteignent leurs limites (EDA positif, transfusion de moins de 4 mois, etc.), mais également d’identifier des variants moléculaires (antigène d’expression partielle ou affaiblie, phénotype rare, etc.) et d’affiner le conseil transfusionnel.
Tester pour sécuriser la délivrance
L’ensemble des résultats des examens immunohématologiques, menés chez les donneurs de sang, d’une part, et chez les receveurs, d’autre part, permettront de sélectionner le produit sanguin labile (PSL) le plus adapté. Soulignons qu’au bout du compte, c’est au chevet du patient que se fera le contrôle ultime prétransfusionnel, grâce à un test d’agglutination visant à vérifier la compatibilité ABO entre le concentré de globules rouges présélectionné par les examens précédents et une goutte de sang du patient.
En France, l’EFS assure environ 85 % des délivrances des PSL, c’est-à-dire qu’il fournit nominativement au patient le PSL qui lui est adapté. De ce fait, l’EFS est composé d’un réseau territorial important composé de 132 sites réalisant l’IH et la délivrance en métropole et en outre-mer, auxquels viennent s’ajouter les dépôts de sang des établissements de santé (responsable de 15 % des délivrances et alimentés en PSL par l’EFS). « Ce modèle, unique en Europe, présente deux avantages : apporter les produits les plus compatibles pour les patients et optimiser la gestion des stocks de PSL, ce qui permet d’avoir des taux de péremption des poches de sang extrêmement faibles, soutient la docteure Delugin. Si une femme avec un sang rare doit être transfusée demain à Rennes, le réseau de l’EFS peut transférer des PSL issus d’autres régions, y compris d’outre-mer, afin d’avoir le jour J du sang frais compatible à disposition pour cette patiente. Dans chaque région, un ou plusieurs biologistes spécialisés en médecine transfusionnelle assurent la permanence des soins 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour répondre aux problématiques transfusionnelles sur tout le territoire. »
Les sangs rares, un enjeu majeur
Rattaché à l’EFS Île-de-France depuis 2021, le CNRGS est chargé d’assurer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, la sécurité transfusionnelle des patients présentant un phénotype ou génotype érythrocytaire rare, à l’échelle nationale. Il tient à jour le registre français des donneurs ou patients de phénotype sanguin rare, qui recense actuellement plus de 16 000 sujets. Il gère par ailleurs la banque nationale de sangs de phénotypes rares (BNSPR) : « Avec près de 8 500 culots globulaires conservés à −80 °C, c’est la plus importante en Europe », apprécie la docteure Delugin. C’est le laboratoire d’immunohématologie spécialisée du CNRGS qui a la charge de la résolution de cas complexes d’identification d’anticorps antiérythrocytaires et de la validation de phénotypes ou génotypes érythrocytaires rares ou variants, aussi bien chez les patients que chez les donneurs de sang. Depuis 2021, il est devenu laboratoire de biologie médicale de référence concernant l’immunisation antiérythrocytaire (auto-immunité, allo-immunisation), l’exploration des phénotypes ou génotypes érythrocytaires courants, variants et rares, et l’exploration immunohématologique des hémolyses post-transfusionnelles. Au total, l’EFS regroupe 9 laboratoires de référence (5 en IH et 4 en HLA/HPA/HNA).
Notes
1. Arrêté du 15 mai 2018 fixant les conditions de réalisation des examens de biologie médicale d’immunohématologie érythrocytaire.