Candida auris, détection précoce à renforcer

En 15 ans, Candida auris s'est répandue partout dans le monde. Elle colonise l'environnement et les patients très facilement et est à l'origine de candidoses invasives résistantes aux antifongiques, mortelles pour les patients fragiles.

Par Sophie HOGUIN, publié le 13 mars 2024

Candida auris, détection précoce à renforcer

Japon, 2009. Un hôpital identifie une nouvelle espèce de levure dans l’oreille d’une patiente. Elle sera baptisée Candida auris. Dès lors, elle émerge simultanément sur plusieurs continents. C. auris ne fait pas partie de la flore humaine commensale. Elle apparait dans les milieux de soins, provoquant des épidémies d’infections chez les patients affaiblis, avec de forts taux de mortalité, compris entre 30 et 72 %.

Inquiétude mondiale

Face à sa forte capacité à se transmettre d’un patient à l’autre et à coloniser l’environnement, et face au fait que la plupart des souches identifiées à ce jour sont naturellement résistantes à un ou plusieurs antifongiques, les CDC et l’ECDC ont déclaré C. auris « menace sanitaire urgente ». De son côté, l’OMS l’a classé parmi les agents pathogènes prioritaires1 (champignons pathogènes critiques) en 2022. En outre, de récentes souches ont été signalées comme pan-résistantes et la littérature décrit C. auris comme ayant une facilité à acquérir de nouvelles résistances. Elle présente aussi une haute thermotolérance et une halotolérance. Le séquençage de son génome entier a permis d’identifier aujourd’hui 6 clades. Le dernier est celui de Singapour, identifié en 2023. En France, c’est le CNRMA2 qui se charge de l’identification des souches et de l’épidémiologie. Le dernier bilan révèle une augmentation rapide des cas détectés : fin 2022, 24 cas (10 infections, 14 colonisations) étaient référencés ; l’année 2023, à elle seule, compte 9 cas (dont 1 infection) et on recense déjà 2 colonisations en 2024. Concernant les résistances, le CNRMA précise que « tous les isolats recueillis en France sont résistants au fluconazole (Concentration Minimale Inhibitrice [CMI] ≥ 64 mg/l) et 6 isolats ont aussi des valeurs de CMI très élevées à la 5FC (CMI ≥ 64 mg/l). Aucun isolat n’a présenté de CMI élevée aux échinocandines. » En France, dès 2019, le HSCP publie des recommandations3 pour la prise en charge des patients infectés ou colonisés par C. auris.

Dépistage

Alors que, dans les recommandations du HCSP de 2019, la détection automatique des patients admis à l’hôpital ne concernait que les patients ayant déjà présenté une colonisation à C. auris ou ayant été hospitalisés dans des pays dits « à risque », l’Institut Pasteur et l’AP-HP recommandent, depuis le début 2023, d’étendre la détection à tous les patients ayant été hospitalisés dans un pays étranger. Les dernières détections en France confirment la pertinence de ce choix (patients en provenance d’Ukraine et de Grèce). Dans sa note, le CNRMA recommande, en cas de découverte fortuite ou de contexte épidémique, d’effectuer, en plus de la culture, une approche de criblage par qPCR spécifique pour une identification rapide. Celle-ci doit être confirmée par culture. Le résumé du protocole définit ainsi une identification Maldi-Tof de toutes les colonies rosées/blanches sur milieu « BBL™ CHROMagar™ Candida » ou de toutes les colonies bleu clair avec halo bleu sur « CHROMagar™ Candida Plus ». Ce dernier est normalement positif en 48 heures à 30-37 °C, mais le CNRMA préconise de conserver les boites négatives en incubation pendant 10 jours dans une boite dédiée et d’effectuer un nettoyage approfondi du PSM en cas de suspicion de présence de C. auris (solution d’hypochlorite de sodium 0,5 % ou sporicide, type Incidin™).

Contrôle de l’épidémie

Pour contrôler la propagation de C. auris, des mesures très rapides et très strictes doivent être mises en place. Les retours d’expérience au niveau mondial et français prônent entre autres des mesures de précautions complémentaires de contacts (PCC), la mise en place de cohortes de surveillance (cas index, cas contact), un suivi de l’environnement, un bionettoyage adapté et une hygiène des mains renforcée. Ces mesures requièrent donc une bonne coordination des équipes (hygiénistes, mycologues/microbiologistes, cliniciens, avec formation et organisation spécifiques des équipes de soins et de nettoyage).

Sous-détection ?

Le nombre de cas en France reste relativement faible. Lors de la Ricai 2023, les discussions ont soulevé la question d’une sous-détection liée à un manque d’organisation et de prise de conscience de risques mycologiques. Dans cette hypothèse, C. auris serait plus présente qu’on le pense, mais simplement non identifiée. Une sous-détection qu’Alexis Tessier, directeur commercial de CHROMagar, tend à suspecter : « Avec les recommandations de l’Institut Pasteur d’élargir la détection sans notion de pays à risque, nous nous attendions à un pic de commandes de nos géloses. Cela n’a pas du tout été le cas. Ni pour nous ni pour nos concurrents, apparemment. J’en déduis que cette détection n’est pas faite. En outre, mes différents échanges avec la communauté médicale (hormis les biologistes et les hygiénistes) semblent indiquer qu’elle est peu au fait des dangers de C. auris et encore moins du protocole de dépistage à l’entrée à l’hôpital. » Un sentiment qui semble assez partagé par l’équipe d’un hôpital de l’AP-HP qui témoigne de son expérience dans un article de la revue Hygiènes (voir encadré). Celui-ci conclut que, pour pouvoir appliquer des mesures de contrôle de la diffusion efficaces, il faut que « les cliniciens soient sensibilisés au dépistage des patients à risque et que les laboratoires de microbiologie aient les moyens d’identifier rapidement les souches suspectes ».

Retour d’expérience d’un hôpital français

Dans un article très instructif de la revue Hygiènes5, l’équipe d’un hôpital de l’AP-HP détaille l’apparition, le développement, les mesures et les interrogations nées de la plus grande épidémie française connue. Le patient index, en provenance du Koweït, admis en juillet 2022, n’avait pas été dépisté à  C. auris, mais à de nombreuses autres bactéries résistantes, et donc hospitalisé en réanimation avec des PCC. À l’occasion des soins d’une plaie, fin septembre, C. auris est détectée. L’hôpital met aussitôt en place les mesures de prévention recommandées et entame un dépistage systématique des cas contact. Résultat : 37 cas secondaires identifiés au cours d’une période de 8 semaines dans 6 services différents (réanimation, dialyse, néphrologie, soins continus de chirurgie, maladies infectieuses et tropicales, et médecine interne). Aucun résultat positif en qPCR n’a été confirmé en culture, sauf pour le cas index. Les prélèvements d’environnement ont été retrouvés positifs en qPCR dans 10 % des cas. Après le départ du patient (janvier 2023), C. auris n’a plus été détectée.

Principales références

  1. OMS, WHO fungal priority pathogens list to guide research, development and public health action. 2022.
  2. Institut Pasteur / SFMM / SF2H, Contexte et protocole du CNRMA. 2023 Jun.
  3. Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Mesures de prise en charge de patient infecté ou colonisé par C. auris. 2019.
  4. Bigot, et al., Hygiènes. 2023;31(6):449-457. doi:10.25329/hy_xxxi_6_alanio. C. auris en France en 2023 : épidémiologie nationale, diagnostic, prévention.
  5. Jolivet, et al., Hygiènes. 2023;31(5):375-382. doi:10.25329/hy_xxxi_5_jolivet. Épidémie de C. auris, retour d’expérience.