Bioéthique et AMP, implications médicales et sociétales
Avec l'ouverture de l'accès à l'Assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, l'autorisation de l'autoconservation ovocytaire à des fins non médicales et la possibilité donnée aux enfants nés d'un don de gamète d'avoir accès à leurs origines, la loi de bioéthique du 2 août 2021 a de nombreuses conséquences, sur le plan tant médical que sociétal. Les centres d'AMP et les Cecos doivent faire face à un afflux de demandes sans précédent, avec pour conséquence des délais d'attente qui s'allongent considérablement. En parallèle, même si la loi apporte quelques clarifications, les débats autour de la recherche sur les embryons destinés initialement à l'AMP restent vifs. Enfin, à l'heure du développement de techniques utilisant l'intelligence artificielle en médecine, se pose la question de leur application lors de l'AMP et de leur plus-value.
- 1. Nouvelle loi de bioéthique : quel impact en pratique ?
- a.Un afflux de demandes
- b.Les donneurs se mobilisent
- c.Un phénomène sociétal... pas sans risques
- d.Les regrets de la loi
- 2. La délicate question de la gestion des embryons
- a.Enjeux diagnostiques
- b.Donné à la recherche
- c.Date limite
- 3. Apports de l'intelligence artificielle en AMP
- a.Spermatozoïdes
- b.Embryons
Nouvelle loi de bioéthique : quel impact en pratique ?
Le 2 août 2021, la nouvelle loi de bioéthique ouvrait l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, autorisait l’autoconservation ovocytaire et l’accès à leurs origines aux personnes nées d’un don de gamète. Près de deux ans plus tard, analyse des conséquences pour les centres d’AMP et les Cecos.
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La loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a été publiée au Journal officiel du 3 août 2021. Elle a été suivie de deux décrets d’application, l’un publié le 28 septembre 2021 et précisant les conditions d’âge pour l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP), et le second daté du 30 décembre 2021, portant sur les modalités d’autorisation des centres pour l’autoconservation ovocytaire. Trois mesures en particulier impactent en profondeur le fonctionnement des centres d’AMP et des Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) : l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées, l’autoconservation ovocytaire à des fins non médicales et l’ouverture de la possibilité d’avoir accès à leurs origines pour les personnes nées après un don de gamète.
Un afflux de demandes
« L’agence de la biomédecine (ABM) avait estimé à 2 000 le nombre de nouvelles demandes par an. Or le dernier comité de suivi de l’ABM du 17 octobre 2022 fait état de 9 303 demandes d’AMP avec don de spermatozoïdes formulées par des couples de femmes et des femmes non mariées dans les 27 centres de dons autorisés et actifs au premier semestre 2022 », chiffre le docteur Joëlle Belaisch-Allart, gynécologue obstétricien, chef du service de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction à Saint-Cloud. « Le nombre de demandes a été multiplié par 10 depuis 2021, ce qui a pour conséquence un engorgement à toutes les étapes », témoigne le docteur Nathalie Sermondade, service de biologie de la reproduction, Cecos de l’hôpital Tenon à Paris. « Le secrétariat est sous tension, nous avons augmenté les plages de consultation biologiste, de consultation psy et de délivrance de paillette, créé un nouveau staff bimensuel… », énumère-t-elle. Et pourtant, le délai pour le premier rendez-vous Cecos est supérieur à un an et continue d’augmenter. « En décembre 2021, tous nos créneaux étaient complets avec des couples hétérosexuels ayant pris leurs rendez-vous avant la parution de la loi. Les premières paillettes pour les couples de femmes et les femmes seules ont commencé à être livrées avant l’été 2022 pour des naissances début 2023… Nous n’en sommes aujourd’hui qu’au tout début. La prise en charge de ces femmes reste un défi, nous sommes loin de la fin des bébés Thalys », explique Joëlle Belaisch-Allart, faisant allusion à l’accueil des patientes par nos voisins Belges, qui ne connaissent pas de pénurie de sperme ; en effet, celui-ci y est acheté aux banques danoises, ce que la France interdit jusqu’à présent.
Les donneurs se mobilisent
Depuis le premier septembre 2022, les médecins doivent faire signer aux nouveaux donneurs de gamète le consentement autorisant l’accès à leurs données non identifiantes (âge, état général au moment du don, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations du don – le tout rédigé par leur soin) et à leur identité aux personnes potentiellement issues de leur don. En cas de refus du donneur, le don n’est pas possible. « Les anciens donneurs (avant septembre 2022) doivent contacter la commission d’accès aux données pour l’accès aux origines des gamètes déjà utilisés et/ou le centre dans lequel ils ont effectué leur don s’ils souhaitent que les gamètes restants soient utilisés dans le nouveau dispositif. En l’absence d’action de leur part, ces derniers seront détruits », détaille le Dr Belaisch-Allart. « Les Cecos avaient des réticences initiales très fortes à cette mesure, craignant un découragement des donneurs dans un contexte de pénurie », contextualise Nathalie Sermondade. Mais à l’inverse de ce qui était attendu, « nous avons observé une mobilisation massive, avec des donneurs très militants qui sont là pour que toute femme puisse avoir accès à l’AMP et qui connaissent très bien la loi », se réjouit-elle. De fait, alors que, avant 2021, il y avait entre 300 et 400 donneurs de spermatozoïdes par an, il y a eu 600 dons en 2021 et 764 en 2022.
Autre mesure notable de la loi : l’autorisation de l’autoconservation ovocytaire, en dehors de toute indication médicale. Le principe : congeler ses ovocytes au moment où la fertilité féminine est optimale pour pouvoir les utiliser ultérieurement. 41 centres sont autorisés à réaliser l’autoconservation sur les 104 centres d’AMP en France. « La parution de la loi a induit un afflux de candidates, surtout de plus de 35 ans. Nous avons eu une avalanche de femmes de 36 ans très pressées », témoigne le docteur Belaisch-Allart. Le délai moyen pour obtenir un rendez-vous est d’environ 5 mois, mais peut aller jusqu’à 13 mois.
Un phénomène sociétal… pas sans risques
« Le désir d’enfant tardif est devenu un phénomène de société. Souvent, les femmes ne veulent pas avoir un enfant seule et n’ont pas encore rencontré le papa », constate Joëlle Belaisch-Allart. Cette dernière s’inquiète des causes sous-jacentes à de nombreuses grossesses tardives : « ignorance (ou déni) du déclin de la fertilité des femmes avec l’âge, confiance imméritée en l’AMP, mythe de la grossesse à tout âge, ignorance des complications, etc. » Avec la nouvelle loi de bioéthique, « la France est le seul pays au monde où l’autoconservation sans indication médicale est prise en charge par la solidarité nationale », s’étonne la gynécologue. En effet, les arguments en faveur de cette technique sont nombreux : recul de l’âge du désir d’enfant et de la chute de la fertilité avec l’âge, allongement de la durée de la vie, pénurie du don d’ovocytes, échec des campagnes d’information sur la chute de la fertilité, liberté individuelle, complications obstétricales liées au don d’ovocytes, lutte contre la chute de la natalité, éviter les grossesses de femmes seules et bien d’autres. Toutefois, d’autres arguments s’y opposent. « Ne risque-t-on pas d’encourager encore davantage les grossesses tardives qui sont à risque pour la femme et le bébé ? De donner de faux espoirs ? Ou de favoriser des pressions éventuelles de la part de l’employeur ? », interroge le docteur Belaisch-Allart. La stimulation et la ponction ne sont pas sans risques et le succès n’est pas garanti. En effet, une large étude américaine1 portant sur plus de 800 cycles d’autoconservation ovocytaire montre que « le taux de naissance est de 51 % si l’autoconservation a eu lieu avant 38 ans, si l’ovocyte a survécu au réchauffement et s’il y a eu fécondation », analyse le Pr Blandine Courbiere, gynécologue à l’hôpital de La Conception, Marseille. Dans cette étude, l’autoconservation de 20 ovocytes matures avant 38 ans donne 70 % de chances d’avoir un enfant.
Alors, comment conseiller au mieux les femmes ? Quel est l’âge optimal pour autoconserver ? « Il faut un équilibre entre conservation précoce, fréquemment inutile, et trop tardive pour être efficace », analyse Joëlle Belaisch-Allart. Selon le calculateur de la clinique UNC Fertility (Caroline du Nord)2, autoconserver augmenterait la possibilité d’avoir un enfant (sous réserve de vouloir un sperme de donneur en cas d’absence de partenaire dans les sept ans) de 5,7 % à 29 ans, de 13 % à 35 ans et de 29 % à 37 ans. « C’est à 37 ans, que le fait d’autoconserver aurait le plus d’intérêt », conclut le Pr Courbiere. Cette dernière reste cependant sceptique sur l’apport réel de l’autoconservation pour les femmes : « Quid de la balance bénéfice risque par rapport au faible taux d’utilisation attendu, à l’efficacité de la technique et aux complications possibles ? » La question reste ouverte.
Les regrets de la loi
« Cette nouvelle loi de bioéthique contient plusieurs mesures phares saluées par la majorité des praticiens, l’accès à l’AMP pour toutes les femmes et le droit d’accès aux origines, mais reste un compromis. On a autorisé, mais pas trop ; les délais d’attente et les moyens matériels et humains n’ont pas été anticipés, résume Joëlle Belaisch-Allart. De plus, plusieurs mesures ont été refusées, et nous sommes nombreux à le regretter ». Ainsi, le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies ou DPI-A reste interdit en France, y compris pour les femmes de plus de 38 ans (lire Biologiste infos n° 117 pp.14-15). « On continuera à privilégier les marqueurs sériques, puis la recherche d’ADN fœtal circulant dans le sang maternel, puis l’amniocentèse, puis, en cas d’anomalie, l’interruption médicalisée de grossesse (IMG) ! Sans compter les multiples transferts inutiles d’embryons chromosomiquement anormaux des femmes de 40 ans et plus », s’indigne-t-elle. La loi interdit également la gestation pour autrui (GPA), « pourtant soutenue par certains médecins pour les femmes sans utérus » et la méthode de réception d’ovules du partenaire (ROPA), « cette jolie solution pour les couples de femmes, qui consiste à ce que l’une des partenaires donne son ovocyte et l’autre porte l’enfant, regrette le docteur Belaisch-Allart, qui conclut sur ces mots : AMP pour toutes ? Non, pour quelques-unes. Il faudra certainement attendre la nouvelle révision pour que toutes les femmes aient les mêmes chances. »
Les mesures phares
Accès à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules, avec une prise en charge par l’Assurance maladie unique pour l’ensemble des bénéficiaires de ces techniques. La filiation des enfants nés d’un couple de femmes est sécurisée, avec de nouvelles règles inscrites dans le Code civil. Conditions d’âge (décret 28 septembre 2021) : FIV/ICSI : prélèvement d’ovocytes : 43e anniversaire ; recueil de spermatozoïdes : 60e anniversaire. IA, TEC, utilisation de gamètes ou tissus germinaux : chez la femme qui a vocation à porter l’enfant : 45e anniversaire ; chez le membre du couple qui n’a pas vocation à porter l’enfant : 60e anniversaire.
Les personnes issues d’un don de gamètes ou d’embryon pourront à leur majorité, si elles le souhaitent, accéder aux données non identifiantes (âge, état général au moment du don, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations du don ; rédigées par leurs soins) et à l’identité du donneur.
Le texte ouvre la possibilité d’une autoconservation de gamètes pour les femmes comme pour les hommes, sans raison médicale, à des fins de prévention de l’infertilité. Pour les femmes, l’âge minimum est de 29 ans et la limite maximum est le 37e anniversaire (avis de l’ABM du 14 juin 2021). Le décret du 30 décembre 2021 précise les établissements autorisés à réaliser cette activité.
Nadia Bastide-Sibille
Références
- Druckenmiller Cascante et al., Fertil Steril. 2022 Jul;118(1):158-166.
- Site : https://uncfertility.com/treatment-options/egg-calculator/
La délicate question de la gestion des embryons
Depuis la première loi de bioéthique, en 1994, l’embryon a toujours été une question de débat ardente. Si la dernière révision de la loi clarifie certains points, la sensibilité reste vive.
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L’embryon pose une question fondamentale à la médecine : à quel moment devient-il un individu ? « Pour le droit, le fœtus devient une personne à la naissance. C’est le moment discriminant », explique Bernard Baertschi, spécialiste de l’éthique médicale à l’Université de Genève et membre du Comité d’éthique de l’Inserm depuis 2013. Toutefois, cette réponse pragmatique n’efface pas les autres conceptions. « Tout enfant est dans le cœur de Dieu, depuis toujours, et, au moment où il est conçu, se réalise l’éternel rêve du Créateur », a écrit le pape François en 2016. De ce point de vue, l’embryon est incarné dès la naissance. L’idée que l’individu existe dès les premiers jours de vie traverse les grandes religions monothéistes, mais aussi des conceptions non religieuses. Dès lors, la manipulation, la congélation, le stockage et encore plus la destruction d’embryon, qui sont des opérations courantes dans un protocole d’assistance médicale à la procréation (AMP), sont bien plus problématiques d’un point de vue moral que si l’on considère l’embryon comme une personne plus tardivement dans son développement.
En France, seul un projet parental peut produire un embryon humain. Dans un cadre médicalisé, il est donc le fruit d’un parcours d’AMP, par un couple hétérosexuel, un couple formé de deux femmes ou par une femme non mariée, avec ou sans don de gamète. L’embryon non utilisé peut ensuite être donné à un couple stérile, détruit ou confié à la recherche. « C’est la décision des parents, un peu comme s’ils en avaient la propriété », explique Bernard Baertschi. Pourtant, l’embryon demeure sans statut moral. « En droit romain [tradition du droit français], on est soit un individu, soit une chose, mais cette dichotomie pose des problèmes, autant pour l’embryon que pour les animaux », souligne-t-il. De fait, une chose peut être possédée, mais pas une personne.
Quel cadre alors pour les embryons ? « L’embryon n’a pas de statut, mais il est protégé par la loi. C’est une personne potentielle, ce qui implique qu’il mérite un certain respect », précise le spécialiste. Ainsi, aucune modification du génome de l’embryon ne peut être effectuée dans le cadre d’une AMP.
Enjeux diagnostiques
Les diagnostics auxquels sont soumis les embryons destinés à l’AMP constituent un élément de débat. Le seul examen de routine qui évalue leur santé est morphologique. En France, le diagnostic préimplantatoire n’est proposé qu’en cas de forte probabilité de transmettre une maladie génétique d’une particulière gravité, reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Il est également nécessaire que les caractéristiques génétiques de cette maladie aient été identifiées chez un parent ou chez les deux. Enfin, cet examen ne peut concerner qu’une seule condition. Il est évalué et réalisé dans un des cinq centres habilités (Paris-Clamart, Strasbourg, Grenoble, Montpellier ou Nantes).
Dans d’autres pays, la réglementation diffère. « En Belgique, il est possible de faire tous les tests en lien avec la santé, c’est-à-dire des tests génomiques, mais aussi des recherches d’aneuploïdies, comme les trisomies », précise Bernard Baertschi. Celui-ci regrette la position française. « Nous avions milité pour que les aneuploïdies puissent aussi être testées, voire qu’on identifie une liste de conditions qui menacent la vie d’un enfant avant cinq ans par exemple, mais la crainte de l’eugénisme est forte. Il faut reconnaître que ce sont des sujets difficiles. »
Donné à la recherche
Le débat est encore plus vif lorsqu’un embryon est donné à des fins de recherche. Comme il est interdit de produire des embryons pour la recherche, seuls ceux donnés par le couple ou la mère non mariée sont concernés. Ils marquent la fin d’un projet parental ; on parle alors d’embryon surnuméraire. Une fois leur destination changée, ils ne peuvent plus être mis en gestation.
La loi de bioéthique du 2 août 2021 encadre les objectifs d’une recherche sur les embryons humains. En plus des finalités médicales directes, celle-ci peut désormais viser à « améliorer la connaissance de la biologie humaine ». Le législateur a également réitéré l’interdiction du clonage et de la fabrication de chimère par adjonction de cellules non humaines.
Pour étudier les embryons humains, les équipes de recherches doivent demander une autorisation après de l’Agence de la biomédecine. En revanche, une simple déclaration suffit pour les cellules souches. « Dans les faits, ces demandes d’autorisation sont systématiquement attaquées par des organisations opposées à la recherche sur l’embryon, comme la Fondation Lejeune, qui mène une véritable obstruction juridique », remarque Bernard Baertschi. Ces procédures déplacent ainsi le débat national, mené à la fois au sein du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), en amont de la révision de la loi, et de l’Assemblée nationale, vers un débat judiciaire. « Ils ont toujours perdu face aux juges, mais ces procédures sont très dissuasives pour les chercheurs », analyse le bioéthicien.
Date limite
Autre précision apportée par la dernière révision : l’interdiction de conserver et de cultiver des embryons au-delà de 14 jours de développement après la fécondation. « Pendant longtemps, on ne savait pas faire survivre un embryon au-delà de 7 jours dans des conditions in vitro », explique Bernard Baertschi. En 2016, deux équipes, l’une britannique1 et l’autre américaine2, ont rapporté avoir réussi à cultiver des embryons jusqu’à 13 jours in vitro. Depuis, les progrès de la biologie cellulaire ont permis aux chercheurs travaillant sur des embryons non humains de dépasser ce stade de développement en culture, mais la limite des 14 jours pour les embryons humains reste un consensus fort auprès de la communauté scientifique.
« La ligne primitive apparaît après 14 jours », précise Bernard Baertschi. Elle distingue les tissus du futur placenta de ceux du futur fœtus. « On est sûr qu’il n’existe aucune forme de système nerveux avant cette date », complète le spécialiste. Autre fait remarquable : avant 14 jours, si on coupe un embryon en deux, on obtient deux embryons, alors que, après cette date, l’embryon ne survit pas, il a perdu sa totipotence. Le bioéthicien analyse : « On peut penser que s’il peut être divisé, il n’est pas un individu. »
Agnès Vernet
Références
- Shahbazi et al., Nat Cell Biol. 2016;18:700-708.
- Deglincerti et al., Nature. 2016;533:251-254.
Apports de l’intelligence artificielle en AMP
Des approches automatisées se développent dans le domaine de l’assistance à la procréation, que ce soit pour l’étape du spermogramme ou celle du suivi du développement de l’embryon pour la FIV. Si les techniques permettent à ce jour un gain de temps pour les biologistes, elles visent à terme à améliorer le service rendu aux patients.
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L’accumulation de données d’imagerie lors de l’assistance médicale à la procréation (AMP) offre des perspectives pour le développement de techniques d’intelligence artificielle (IA). Deux étapes sont principalement concernées. La première, le spermogramme, exige l’évaluation de différents paramètres normés, tels que la concentration en spermatozoïdes et la mesure de leur mobilité. La seconde étape, le suivi lors de la fécondation in vitro (FIV) du développement embryonnaire par microscopie ou time-lapse avec une caméra dans un incubateur, jusqu’au 5e jour, correspond au moment du transfert d’embryon. « Le but du biologiste de la reproduction est de classer les embryons, notamment sur la base d’analyse d’images, afin que la patiente arrive le plus vite possible à la grossesse », rappelle le Dr Emine Saïs, biologiste de la reproduction au Centre hospitalier intercommunal (CHI) Poissy St-Germain-en-Laye, lors des dernières Biomed-J. « Certains critères morphologiques donnent des indices sur les chances d’implantation des embryons. Cela nous permet de les classer pour obtenir un ordre de transfert. » Au niveau technique, les classifications d’images par intelligence artificielle utilisent des réseaux de convolution : des petits grillages parcourent l’image pour en déterminer des paramètres, comme des traits horizontaux, verticaux ou des éléments courbes, afin de décomposer l’image et de permettre in fine une classification. En sortie, l’algorithme donne un pourcentage de chance d’obtenir une image avec une certaine signification. Cependant, « pour que l’ordinateur fonctionne bien, pour que l’apprentissage supervisé soit efficace, il lui faut des millions d’images à analyser », pointe le spécialiste.
Spermatozoïdes
Afin de choisir un spermatozoïde pour une injection intracytoplasmique de spermatozoïde en FIV (ICSI), le biologiste regarde comment bougent les spermatozoïdes et s’ils sont bien formés. « Même s’il existe des normes de circularité, de forme et de longueur de l’OMS, il existe une variabilité interopérateurs sur ce choix, d’où l’intérêt de l’IA », estime le Dr Saïs. Plusieurs pistes de recherche sont explorées. Des données avec une notation réalisée par plusieurs biologistes sur la morphologie ont par exemple permis d’entraîner un algorithme1. Plus les avis des biologistes divergeaient au départ, moins l’algorithme s’avérait précis. Il faut de plus noter que trop peu de spermatozoïdes ont été notés dans cette approche, une limite récurrente dans ce genre d’études. « Nous sommes en retard par rapport aux Anglo-Saxons qui ont une culture de la donnée, avec des mises en commun que nous ne pratiquons pas encore assez », déplore le Dr Saïs. Cette approche permet d’analyser rapidement les spermatozoïdes, mais n’est pas encore assez précise et ne remplace donc pas encore l’expertise humaine. C’est le cas aussi avec des données sur la fragmentation de l’ADN. Une autre approche s’est appuyée sur le mouvement en 3D des spermatozoïdes, avec un algorithme incluant une notion de temporalité2. Cette technique des réseaux de neurones récurrents (dite RNN pour recurrent neural network), qui étudie des successions d’images, est automatisable et présente, elle, déjà de vraies perspectives en spermiologie. « Toutes ces tâches qui prennent du temps sont amenées à intégrer de l’IA. Pour le moment, ces techniques n’ont pas d’incidence sur la clinique pure : elles font gagner du temps, mais n’augmentent pas les chances de grossesse. Les études sont encore trop fragmentées ; il n’y a pas encore d’étude qui prend en compte tous les paramètres d’intérêt en même temps », regrette le biologiste. Pourquoi ? Analyser tous les paramètres des spermatozoïdes n’est pas aisé ; en effet, l’étude morphologique, par exemple, nécessite une coloration, et l’ADN une fluorescence. « Il faudrait pouvoir analyser tous les paramètres dans un réseau de neurones pour obtenir en sortie une sélection la plus juste possible pour maximiser les chances de grossesse. Ce sont encore des pistes de recherche. »
Embryons
« Les grosses études de méta-analyse sur l’analyse par IA des embryons en time-lapse ne montrent pas d’intérêt pour augmenter les chances de grossesse, mais un confort pour le biologiste de la reproduction », prévient d’emblée le Dr Saïs. Celui-ci a réalisé une étude à la fin de son internat sur 400 embryons à J5, avec le logiciel open source Inception3. « Le nombre d’embryons était tellement faible que j’ai dû faire de l’augmentation artificielle de données, avec des rotations d’image, puisque celles-ci ne sont plus considérées comme identiques par le logiciel. Cela permet d’obtenir environ 50 000 images pour la phase d’apprentissage », détaille le biologiste. Les notes données par le logiciel sur un groupe d’embryons tests ont été comparées avec la moyenne des notes attribuées par cinq biologistes. La précision obtenue est d’environ 87 %. « Cela n’est pas mauvais, mais il faut relativiser ce chiffre du fait de l’augmentation artificielle des données et de la subjectivité de la note donnée par les biologistes. Cela aurait été très différent si le critère étudié avait été la réalisation ou non d’une grossesse », tempère le Dr Saïs. Illustration de cette subjectivité interopérateurs, sur les 400 embryons, seuls 18 ont obtenu la même note, en intégrant un nombre important de critères. Cependant, la décision finale de transférer ou de congeler un embryon ou non, donc d’estimer sa qualité comme bonne, présente beaucoup moins de variabilité (182/400 obtiennent la même décision). Il existe aussi une variabilité intra-individuelle, puisqu’un biologiste peut revoir son évaluation d’un même embryon trois mois après, ce qui arrive pour 9 à 13 % des embryons. Une partie de l’enjeu de la recherche en IA sur l’embryon est donc de s’affranchir de ces variabilités interopérateur et intra-individuelle. « Le graal reste de prédire la grossesse, ce que beaucoup de travaux cherchent à faire. Le problème est que beaucoup d’entre eux ne donnent pas accès au code informatique utilisé. Nous sommes face à une vraie boîte noire, alors que notre responsabilité devant les patients, en cas d’échec, sera engagée », prévient le Dr Saïs. Face à des perspectives enthousiasmantes, à juste titre, le regard critique sur l’IA en AMP reste donc encore de mise.
Noëlle Guillon
Références
- Riordon et al., Computers in biology and medicine. 2019;111:103342.
- Donahue et al., ” Long-term recurrent convolutional networks for visual recognition and description. ” Proceedings of the IEEE conference on computer vision and pattern recognition. 2015.
- Szegedy et al., ” Going deeper with convolutions. ” Proceedings of the IEEE conference on computer vision and pattern recognition. 2015.