Biologie délocalisée : Le choix des marqueurs aux urgences, davantage qu’une question médicale

Biologiste infos : Comment choisissez-vous d’implémenter ou non un examen de biologie délocalisée ?

Marie-Christine Beauvieux : La plupart du temps, la biologie délocalisée est installée pour répondre à une urgence, lorsque le laboratoire central du CHU ne peut pas répondre au besoin médical dans des délais acceptables. Elle peut aussi permettre d’éviter une deuxième consultation, dont l’objet ne serait que la lecture des résultats. Dans tous les cas, il faut que l’examen ait de la valeur pour le patient. Par exemple, la gazométrie est essentielle pour prendre en charge les acidoses métaboliques, des intoxications ou les états de choc. Elle est déployée dans tous les services d’urgence des trois sites du CHU de Bordeaux, sous la supervision du laboratoire de biologie. L’hôpital Haut-Lévêque, par exemple, dispose également d’examens de biologie délocalisée pour répondre aux besoins des patients urgents traités en unités intensives, blocs et réanimations cardiologiques. En revanche, à l’hôpital Saint-André, un autre site, les urgences sont très proches du laboratoire central et ne sont donc pas équipées. La décision intègre ainsi l’organisation de l’hôpital aux rationnels cliniques.

Marie-Christine Beauvieux

Marie-Christine Beauvieux est responsable du groupe de travail de la SFBC sur les EBMD et est impliquée dans les contacts avec la DGOS pour la rédaction du décret à venir. / DR

Quels autres critères prenez-vous en compte ?

La biologie délocalisée est aussi utilisée pour des questions d’organisation, en particulier pour gérer les flux. Par exemple, nous la déployons dans les urgences pédiatriques pour répondre aux saisons épidémiques du virus respiratoire syncytial (VRS), puis de la grippe et du Covid. Le service doit gérer un afflux de patients ; connaitre le statut virologique rapidement peut aider à la fois à la décision d’hospitaliser ou non un patient, mais aussi au choix de la chambre la plus appropriée pour éviter les infections croisées. Or les analyses de virologie ne sont pas réalisées la nuit et le weekend par le laboratoire central. Après avoir testé plusieurs solutions l’hiver dernier, au sein des urgences pédiatriques, nous sommes en train d’y mettre en place des automates de biologie délocalisée LumiraDx afin de répondre à ces différentes vagues épidémiques. Ils devraient être opérationnels début 2025 pour le pic de la grippe.

N’avez-vous pas peur du surcout que cela peut représenter ?

On dit souvent que les réactifs de biologie délocalisée sont beaucoup plus chers que ceux des chaines analytiques, conditionnés en plus gros volume. Toutefois, cela se discute, car la technologie tend vers des solutions « micronisées » à prix intéressant. Nous préférons raisonner sur un cout global, en intégrant les couts évités en ce qui concerne l’hospitalisation, les délais de diagnostics, les complications engendrées ou les examens pratiqués inutilement, au lieu de comparer seulement le prix des réactifs. En cela, nous pouvons citer les travaux de Damien Bouvier et son équipe, du CHU de Clermont-Ferrand. Ils ont démontré que le dosage de la protéine C-réactive par un automate de biologie délocalisée installé dans les urgences pédiatriques, chez des enfants avec de la fièvre, permettait, par exemple, d’éviter des prélèvements surnuméraires et une antibiothérapie probabiliste1. L’information aide le clinicien à mieux prescrire, ce qui améliore à la fois la prise en charge du patient et son cout. Cependant, il est de notre responsabilité de vérifier qu’il n’y a pas redondance. Et nous ne faisons pas de la biologie à deux vitesses : le diagnostic en biologie délocalisée doit être aussi performant que celui réalisé au laboratoire central et doit se suffire sans vérification au laboratoire, ce qui peut se suivre sur les serveurs du CHU. Nous sommes aussi très attentifs quant aux comportements de surprescription que faciliterait la présence d’appareils sur place ; en ce sens, une activité maitrisée est l’un des indicateurs qualité suivis annuellement.