Quand les cellules interagissent et causent des maux de tête !
Une patiente âgée de 53 ans se plaint de céphalées récurrentes. Elle présente également des douleurs corporelles généralisées, dont l’intensité augmente les semaines précédant son arrivée à l’hôpital. L’anamnèse clinique n’a révélé aucune particularité, excepté le fait que la patiente a été en contact avec la tuberculose par le passé. L’examen neurologique est sans particularité.
IRM et LCR
Devant ce tableau clinique, les médecins suspectent une méningite. L’IRM du rachis lombosacré montre une distorsion des structures nerveuses au niveau de la queue-de-cheval et un épaississement de la dure-mère. Ils concluent à une arachnoïdite adhésive. Il n’y a pas de lésion céphalique. Une ponction lombaire est alors effectuée. La PCR effectuée dans le LCR indique l’absence de tuberculose. En chimie, l’hypoglycorachie est à 30 mg/dL et une augmentation des protéines est observée (4 g/dL).
Examens cytologiques
En cytologie, un Cytospin montre une prédominance des cellules nucléées, notamment les polynucléaires neutrophiles et lymphocytes. En outre, de grandes cellules présentant un aspect atypique sont également observées. Il s’agit d’une image de pléiocytose. La formule est donc panachée : neutrophiles, lymphocytes et cellules de grande taille dont les noyaux sont irréguliers, parfois en fer à cheval. Des examens complémentaires sont alors effectués, visant en particulier à la recherche d’une pathologie lymphomateuse sous-jacente. L’examen en cytométrie de flux suggère une pathologie caractérisée par une monohistiocytose, notamment du fait qu’une population de cellules montre une fluorescence importante au niveau du CD45, bien plus fluorescente que pour les polynucléaires neutrophiles. Or, cette zone correspond habituellement aux monocytes.
Exclusion de lymphomes
Ainsi, la population d’intérêt est composée de cellules qui présentent une grande taille, une grande complexité nucléaire. Il n’y a pas de clonalité prouvée au niveau des cellules lymphoïdes B ni d’aberration phénotypique des lymphocytes T. L’immunophénotypage exclut donc une pathologie lymphomateuse et oriente davantage le diagnostic vers une pathologie d’origine histiocytaire. Une lame colorée à l’hématoxyline éosine indique que, pour un LCR, il y a beaucoup de cellules.
Découverte d’une empéripolèse
La docteure Nyamessameya et le docteur Farhat se rendent compte qu’il existe deux éléments d’intérêt : d’une part, des grandes cellules avec des cellules plus petites autour et, d’autre part, des lymphocytes formant une sorte de couronne qui gravitent autour des grandes cellules. Il s’avère que la cellule au centre est une cellule d’origine monocytaire. Dans un processus plus avancé, les cellules monocytaires se différencient et deviennent des macrophages avec un « satellitisme » lymphocytaire.
Les biologistes observent alors une internalisation par les macrophages des lymphocytes qui leur gravitaient autour, les lymphocytes restant intacts à l’intérieur des macrophages. Ceci est caractéristique d’un processus d’empéripolèse, qui diffère de la phagocytose par le fait que la cellule internalisée n’est pas détruite.
On retrouve ici les mêmes cellules que sur la première photo, après coloration immunohistochimique S100. Crédit Farhat Medexpert – Dr Hussein Farhat
Interactions cellulaires
Les deux hématologues du LHUB-ULB ont alors une idée du diagnostic. Pour le confirmer, ils demandent une coloration de la protéine S100, ainsi que des images de la même lame, mais décolorée et sur laquelle est effectuée une coloration histochimique. Lorsque les lymphocytes sont à distance des macrophages, ils apparaissent gris, lorsqu’ils sont à proximité et dans un processus d’interaction, ils prennent une coloration brune, ce qui marque la positivité nucléaire à la fois des macrophages et des lymphocytes : ils interagissent. Cette positivité révèle, de fait, l’interaction qu’il existe entre les lymphocytes et les histiocytes. Distants des seconds, les premiers sont négatifs. Une fois qu’ils s’en approchent, ils deviennent positifs, ce qui se caractérise ici par une positivité nucléaire de la protéine S100, alors que le plus souvent, dans ce genre de cas, la positivité est cytoplasmique.
Diagnostic
C’est une piste intéressante pour le diagnostic, qui est confirmé par d’autres tests supplémentaires : le CD1a est négatif, la coloration au CD68 (qui est positive) prouve que ces cellules sont bien des histiocytes et, enfin, la coloration à la cycline D1 (un marqueur nucléaire souvent présent dans les lymphomes du manteau) est positive également. Le diagnostic conclut à un variant neuro- logique de la maladie de Rosaï Dorfman, une pathologie rare. L’état de la patiente s’est ensuite fortement amélioré après une corticothérapie de 6 mois.