EDITO* : La charge de l'Assurance maladie produit ses effets

Gel des revalorisations, baisse de tarifs, "rentes économiques", autant de sujets qui pris les uns à côté des autres semblent presque anecdotiques pour le commun des Français. Cela ressemble vaguement aux grèves des enseignants à la rentrée pour demander une hausse des salaires. On attend que ça passe et on passe à autre chose... Alors peut-on lire autre chose que des revendications sectorielles dans ces inhabituelles manifestations de professions rarement mobilisées pour battre le pavé ?

Par Sophie HOGUIN, publié le 03 juillet 2025

EDITO* : La charge de l’Assurance maladie produit ses effets

Dans un communiqué de presse du 24 juin 2025, le SDBIO appelait à « une profonde réflexion sur les mécanismes conventionnels et de financement« , soulignant que l’épisode de gel des revalorisations de nombre de professionnels de santé libéraux devait servir de levier pour la création d’une réelle solidarité entre professions de santé libérales – car les mêmes solutions et mécanismes, déjà appliqués aux biologistes, aux radiologues et aux transports sanitaires vont être élargies à d’autres.

Derrière le 1er juillet, la forêt

Parce qu’effectivement, on peut discuter du détail de certains chiffres, de la pertinence ou non de faire grève, du droit à demander quelque chose de la part de professions « bien rémunérées », mais est-ce vraiment là les points les plus intéressants ? Qu’est-ce qui tout d’un coup fait basculer les professions libérales de santé dans cette colère ?

On peut facilement, diriger l’opinion contre eux – même si ce sont des soignants – à coup de petites phrases méprisantes et assassines (Thomas Fatôme le directeur de l’Assurance maladie en est friand). L’objectif, montrer grâce à quelques manipulations de gros chiffres qui font peur, que ces professionnels sont des nantis, des profiteurs, qui ne veulent pas partager, ni travailler plus alors que le pays est en crise financière etc etc. Et derrière ce discours, qui met l’opinion publique à dos, des mécanismes financiers et des négociations professionnelles faussées, biaisées qui ne laissent plus la place à la discussion et à la construction mais seulement au conflit. Avec une direction de l’Assurance maladie qui espère ressortir gagnante de ces multiples bras de fer – en divisant les professions entre elles et les différents syndicats au sein des professions. Les biologistes en savent quelque chose. Ils subissent ce système depuis plusieurs années. Mais alors, pourquoi passer des mois à « négocier » des accords si c’est pour mieux les bafouer ensuite ?

Question technique ou politique ?

Parce qu’attention, nuance que tout le monde souligne avec force : « Ce n’est pas la CNAM qui met les professionnels de santé dans la rue« … « ce sont des décisions automatiques« … Enfin… Oui et Non. Un peu comme si l’Etat installait des radars automatiques puis qu’il vous disait qu’il n’a pas la main dessus, puisque c’est automatique et que cela dépend de la Police…

On pourrait entrer dans le détail des mécanismes conventionnels, de leurs négociations, du système du « Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie » [dont l’avis est à l’origine d’un gel des revalorisations négociées l’été dernier], mais le problème, c’est que derrière tout ces mécanismes il y aussi des choix, de l’idéologie, de la politique et des questions démocratiques profondes. Des choix – faits au nom de tous les Français.

La santé n’est-elle qu’une charge ?

Clairement, depuis de nombreuses années, la santé, tout comme l’éducation ou d’autres services publics – ne parlons même pas d’environnement – ne sont que des charges. A partir de ce paradigme de départ, il ne peut plus y avoir d’investissements durables envisageables puisque l’unique but des différents gouvernements est de diminuer les charges.

Quand l’Assurance maladie publie son rapport « charges et produits » annuel, on y analyse en long et en large les charges des « méchants opérateurs publics » [qui ne sont pas assez optimisés] et « des méchants opérateurs privés » qui se servent sur le dos des Français.

Quid de ce que peut apporter une population en bonne santé ? Comme ce sont des choses difficile à évaluer d’un point de vue du référentiel d’économie capitaliste alors on émet de belles propositions consensuelles : Améliorer la prévention de ceci ou de cela, développer l’accès aux soins primaires pour tous… Et on chiffre certaines économies rendues possibles par des politiques de prévention (Ex : dépistage précoce des maladies rénales chroniques). Mais sur le terrain, on voit quoi ? Car cette prévention, elles doit être opérée par qui et sur quel budget ? Derrière ces belles paroles, il faut des humains, et ils ne vont pas tous travailler bénévolement.

Ainsi, ce rapport est toujours bien joli, il se veut une synthèse éclairante mais au final, il passe toujours à côté des enjeux réels : parce qu’il ne part pas du patient, ni des situations de terrain. On peut lui faire dire tout et n’importe quoi. Une espèce de litanie proprette pour cacher des décisions violentes pour nombre de professionnels de santé et contre-productive pour la santé des Français.

Extrait : p 237 « Afin d’éviter le décrochage des dépenses et des recettes, il est nécessaire d’assurer une dynamique des recettes au même rythme que la richesse nationale« … Ah oui super ! Sauf que vu que la richesse nationale, elle patine un peu c’est fort peu ambitieux pour ce qui est des recettes. D’autant que, rappelons-le, la population française vieillit et donc mathématiquement les dépenses de santé, elles, vont bondir. Donc déjà, là, je vois pas comment on va sortir de l' »endettement ».

Rappelons aussi, que rien, théoriquement, n’interdit de changer les règles de financement de la santé et de décider d’y consacrer plus du budget de l’Etat. Le « trou » de la Sécu n’existe que parce qu’on a décidé d’un périmètre de recettes pour financer l’Assurance maladie qui doit lui définir le volume des dépenses.

Parce qu’on ne fait plus de la politique en fonction d’un idéal commun mais en fonction d’un capital financier à gérer. Les choix sont vite arbitrés. Tout ce qui coûte à l’Etat doit disparaître… Sauf que, en fait, derrière l’idée de nation, de collectivité il y a l’idée d’une forme d’organisation de la société visant à mutualiser des moyens humains et financiers pour assurer un mieux-être au plus grand nombre (dans notre acception moderne de la République). Autant dire que du coup là on rate une marche.

Une méthode catastrophique pour les patients et les soignants

Derrière cette recherche de diminution des charges s’installent un discours culpabilisant et répressif : il faut des coupables. On cherche des fraudeurs (qu’ils soient patients ou soignants), des profiteurs… Un bon moyen de mettre tout le monde sur le qui-vive, se suspectant les uns les autres, et répercutant sur son voisin (qu’il soit son pair et concurrent, d’une autre profession, ou un patient) le discours et les injonctions violentes des autorités de tutelle (Elles n’ont jamais autant bien portées leur nom). Cela produit un système de santé où la solidarité et la bienveillance disparaissent – avec pour corollaire aussi, une montée de la violence de la part de patients au parcours erratique, mal ou peu pris en charge dans leur dimension humaine. En parallèle, d’un point de vue économique, on dénonce des « rentes économiques » des secteurs qui « gagnent trop » et on impose des baisses de tarifs brutales, unilatérales, qui ont clairement deux effets contreproductifs assez rapides :  l’arrivée d’acteurs financiers, seuls capables de créer des structures massives à l’organisation industrielle qui peuvent supporter la baisse des marges par des effets de volumes et donc la disparition de petites structures de proximité. Financiarisation de la santé et suppression de l’accès aux soins primaires (pharmacie, biologie, transport etc) dans certaines zones. Deux tendances qui annuleront de fait, toute efficacité des politiques de prévention qui nécessitent des moyens humains de proximité [Sauf pour ceux qui veulent croire que le numérique et l’IA vont sauver l’humanité et que ce sont des solutions qui ne coûtent pas chères à l’installation, ou qu’elles n’ont pas besoin de maintenance !].

Forcément, on en arrive à penser que soit l’Assurance maladie est dirigée par des idiots qui sont incapables de voir le mécanisme vicieux, soit que c’est ce qu’ils veulent…

Chiffres faussés, confiance au fossé

Les syndicats de biologistes, à l’unanimité le martèlent depuis des années, les négociations avec l’Assurance maladie sont faussées par des chiffres erronés. Au point que du soupçon de simple erreur, ils en sont parvenus à la conclusion que les données avancées pouvaient être « délibérément biaisées » (communiqué de l’intersyndicale du 1er juillet). Et comment penser autrement quand on lit un rapport « charges et produits » 2025 pour éclairer des solutions pour 2026 qui s’appuie sur des chiffres allant de 2018 à 2022 ! Les mêmes chiffres que dans la version de l’année précédente. Une période – qui plus est – perturbée à de multiples niveaux par la crise du COVID et dont il est du coup difficile d’interpréter certains signes. La Sécurité sociale ne dispose pas de données sur 2023 et 2024 ?!

Alors si redresser les comptes de la Sécurité sociale, nécessite un effort collectif, peut-être serait-il utile de ne pas braquer et mépriser ceux qui en sont le fondement.

Mais, laissons le mot de la fin à Grégory Emery, médecin de santé publique, ex-directeur général de la Santé, aujourd’hui conseiller santé à la Présidence de la République : la seule question à se poser, c’est, que voulons-nous ?

Le comment viendra alors plus facilement.

Tous fraudeurs

La chasse à la fraude, la répression, infuse la société toute entière. Au début, c’était bon pour les clandestins, les OQTF, les précaires (fraudeurs au RSA, à la CAF etc), mais désormais plus personne n’y échappe. Le patient qui se présente dans une pharmacie avec l’ordonnance Doctolib qu’il a « bêtement » imprimé au lieu de la télétransmettre est suspecté de vouloir frauder. Le biologiste qui a accepté une ordonnance que le médecin a oublié de signer est suspecté de frauder. Le médecin généraliste qui a prescrit « trop d’arrêts maladies », la pharmacie qui a délivré une boîte en trop etc etc. Et s’il vous plaît – merci de bien vouloir dénoncer votre voisin, il ne s’est pas trompé, il veut certainement frauder… Là, pas de limites sur les moyens pour chasser les indus et la fraude. Et le patient dans tout ça ? Il est très bien pris en charge, il y a plein de plans et d’initiatives (non budgétées parfois) pour améliorer son « parcours de soin ». Dommage qu’il s’agisse souvent de simples rustines visant à palier des problèmes de fonds.

 

*Edito = Contrairement à un article journalistique classique, qui doit relater des faits et éventuellement en tirer une analyse argumentée, l’édito permet d’exprimer une opinion, de prendre position… C’est pourquoi cela est précisé ici.