Damoclès Diagnostics : Détecter la sensibilité aux antibiotiques avec des paramètres biophysiques

Afin d'accélérer les tests de diagnostic de la résistance aux antibiotiques, la startup Damoclès Diagnostics a développé un automate baptisé Damast. Sa technologie se fonde sur l'impact des antibiotiques sur les caractéristiques biophysiques des bactéries (forme, taille, densité, déformabilité). D'abord destinée à la microbiologie délocalisée et applicable en santé animale et humaine, cette solution pourrait aussi s'intégrer, à plus long terme, dans les laboratoires de biologie médicale.

Katia Delaval, publié le 07 mai 2025

Damoclès Diagnostics : Détecter la sensibilité aux antibiotiques avec des paramètres biophysiques

Trouver rapidement l’antibiothérapie adaptée à un patient reste un défi pour les cliniciens. « Entre la réception d’un prélèvement et l’obtention des résultats d’un antibiogramme conventionnel, le délai est de 48 à 72 heures en moyenne, un délai qui peut être allongé avec les temps de transport, les dimanches et jours fériés ou encore le caractère polymicrobien de l’échantillon », détaille le professeur Olivier Barraud, biologiste médical au CHU de Limoges. Au-delà des bénéfices pour la santé du patient, un ciblage plus précoce des antibiotiques adaptés représente aussi un enjeu de santé publique. Il permettrait de limiter des prescriptions inadéquates d’antibiotiques, et donc de limiter l’antibiorésistance.

Naissance du Damast

Le Damast, un automate développé par la startup Damoclès Diagnostics, pourrait bientôt permettre d’obtenir les résultats des tests de sensibilité aux antibiotiques plus rapidement. La preuve de concept a été brevetée en 2020 et trois financements, obtenus en 2020 auprès de l’ANR, de la Région Nouvelle- Aquitaine et de l’Agence pour la Valorisation de la Recherche Universitaire du Limousin, ont permis à ce projet d’incuber au sein de deux unités mixtes de recherche Inserm-université de Limoges. « Damoclès Diagnostics est finalement née fin 2023 », se souvient le biologiste, qui est aussi l’un des six cofondateurs de la startup.

L’automate Damast est le fruit d’un travail d’équipe mêlant des expertises complémentaires : bactériologie clinique, chimie analytique, mécatronique, etc. Le projet a été récompensé par le prix de l’innovation i-Lab de BPI France en 2024.

Nicolas Rousselet

Nicolas Rousselet, P-DG de Damoclès Diagnostics / DR

 

Olivier Barraud

Olivier Barraud, biologiste médical au CHU de Limoges. / Christophe Chamoulaud – © CHU Limoges

Une approche biophysique originale

« La technique utilisée est, en quelque sorte, une chromatographie sans phase stationnaire, détaille le professeur Barraud. Les bactéries sont entrainées dans un canal par un flux de liquide, et un champ gravitationnel est appliqué perpendiculairement. La conjonction des deux forces, flux et champ, fait que les bactéries se positionnent à des hauteurs différentes dans le canal et sont éluées à des vitesses différentes en fonction de leurs propriétés biophysiques, telles que leur forme et leur densité. »

Il n’y a pas besoin de marquage préalable : le spectrophotomètre intégré détecte les bactéries éluées à la sortie du canal. Il suffit de comparer le signal obtenu entre le tube incubé avec un antibiotique donné et celui incubé sans antibiotique, qui sert de témoin. Si les signaux émis sont identiques, l’antibiotique testé n’a pas eu d’impact sur la bactérie, qui est donc résistante. Si un décalage entre les deux signaux est observé, cela signifie que la bactérie est sensible à l’action de l’antibiotique.

Tests de sensibilité et de spécificité validés

La technique a d’abord été développée sur des colonies bactériennes d’Escherichia coli, isolées à partir de cultures sur boites de Pétri et incubées moins de 3 heures, avec ou sans antibiotique1. « Sur la centaine de souches bactériennes testées, la sensibilité et la spécificité de chacun étaient supérieures ou égales à 95,0 %, en accord avec les recommandations de la norme Iso 20776-22 », détaille le biologiste. Aujourd’hui, le Damast a été testé sur plus de 2 000 combinaisons de bactérie et antibiotique, avec des performances conformes à cette norme.

« La technique s’est avérée suffisamment sensible pour que nous envisagions de l’appliquer directement à partir d’un prélèvement tel qu’une urine, souligne-t-il. Le seuil actuel de détection est de l’ordre de 105 UFC/mL. En dessous, cela risque d’être difficile, même si nous y travaillons. »

Vers une commercialisation en santé vétérinaire

« Nous développons actuellement la technique directement à partir de prélèvements d’urines et de laits animaux », précise le professeur Barraud. L’automate à destination des cabinets vétérinaires pourrait être commercialisé fin 2026. « Nous travaillons en parallèle sur les applications en santé humaine, mais la règlementation y est plus complexe que pour le monde vétérinaire : il faudra compter quelques années supplémentaires afin d’obtenir la certification CE-IVDR pour le diagnostic des infections bactériennes ». Dans cette perspective, Damoclès Diagnostics vient de déposer une deuxième demande de financement ANR.

Concrètement parlant, l’appareil est un cube de 50 cm de côté. « Nous avons travaillé sur la miniaturisation du prototype afin qu’il s’intègre facilement dans un cabinet vétérinaire, à la demande de ces professionnels », explique Nicolas Rousselet, P-DG de la startup et ingénieur en aéronautique. Ce serait une première pour ces cabinets, où rien n’est consacré à la microbiologie. « Cela permettrait d’aller beaucoup plus vite, car il n’est pas rare qu’une semaine s’écoule entre le prélèvement chez l’animal et les résultats des tests de résistance », précise Olivier Barraud.

Un positionnement principalement « Point-of-Care »

L’idée, à plus long terme, serait de distribuer cette solution de micro- biologie délocalisée aux Ehpad, pharmacies, maisons de santé, etc. « L’automate est simple d’utilisation, avec des kits spécifiques pour chaque espèce animale, afin que le personnel de santé non spécialiste de ces établissements puisse se l’approprier facilement, tout comme les assistants vétérinaires, détaille le professeur Barraud. Cette solution apporterait un premier niveau de réponse pour quelques antibiotiques et permettrait d’orienter l’antibiothérapie, couvrant la majorité des cas simples. Elle ne se substituera pas à un antibiogramme complet. »

À encore plus long terme, la startup envisage de développer un appareil qui serait adapté aux laboratoires de biologie médicale hospitaliers ou de ville. Utilisant la même technologie, un peu plus élaborée et adaptée au multiplexage pour gagner du temps, il se substituerait aux antibiogrammes sur gélose. « En partant de colonies bactériennes, nous pourrions tester un panel plus complet d’antibiotiques, anticipe le biologiste. La réponse serait plus rapide, car l’incubation avec les antibiotiques ne nécessite que quelques heures : les résultats seraient disponibles le jour d’obtention des colonies, c’est-à-dire, en général, le jour suivant le prélèvement. »

Références

  1. Gauthier, et al., J Antimicrob Chemother. 2024 Jun 3;79(6):1450-1455. doi: 10.1093/jac/dkae132.
  2. Norme Iso 20776-2 : Évaluation des performances des dispositifs pour antibiogrammes par rapport à une méthode de référence de microdilution en bouillon.