Détecter les immunodéficiences primaires

Selon la docteur Julie Smet, lors de son intervention à la Corata1, « un diagnostic et un traitement précoces des immunodéficiences primaires sauvent des vies, diminuent la morbidité et améliorent la qualité de vie des patients ». Biologiste au sein du laboratoire d’immunobiologie du LHUB-ULB2, la Dr Smet rappelle : « Un même phénotype peut être causé par différents déficits. Prises une à une, les immunodéficiences congénitales sont des pathologies rares, mais certaines sont plus fréquentes, comme l’hypo-IgA isolée, estimée à un cas sur cinq cents personnes, souvent asymptomatique. »

Au total, plus de 480 déficits différents sont décrits, dus à des mutations entrainant soit une perte d’expression des protéines, soit une perte ou, au contraire, un gain de fonction. Ces mutations expliquent le mécanisme de la pathologie sous-jacente. Des mutations du même gène peuvent avoir différents modes de transmission et générer divers phénotypes3.

Rôle du laboratoire

« Le rôle du laboratoire dans le test des immunodéficiences primaires est d’essayer de trouver, avec les cliniciens, les tests les plus appropriés et de mettre en évidence des déficits ou des marqueurs plus ou moins spécifiques », souligne Julie Smet.

La mise au point diagnostique tient compte de l’agent pathogène rencontré. En effet, des bactéries plutôt extracellulaires telles que le pneumocoque, qui engendrent des infections des voies respiratoires supérieures et inférieures, font d’abord penser à une hypogammaglobulinémie ou à un déficit du système du complément. En revanche, des abcès profonds et des infections cutanées à staphylocoque doré amènent à rechercher des déficits des polynucléaires neutrophiles, comme les infections invasives à champignons.

Concernant des infections superficielles à bactéries intracellulaires, protozoaires ou champignons, les recherches concernent les lymphocytes T.

En outre, pour orienter la mise au point, l’âge du patient et la prévalence des différents déficits sont à considérer. L’âge au moment du diagnostic peut varier, souvent lié à un délai de diagnostic lorsque celui-ci est posé à l’âge adulte.

L’approche diagnostique des immunodéficiences primaires se fait en plusieurs phases, et plusieurs sociétés scientifiques ont proposé un protocole de test. Le plus usité, celui sur lequel on s’appuie le plus pour les critères diagnostiques, est celui de la Jeffrey Modell Foundation, qui comporte quatre phases.

Anamnèse

La première phase consiste à rassembler l’histoire du patient, ses antécédents médicaux, son examen physique et sa formule hématologique pour exclure une leucopénie ou une lymphopénie. En se basant sur le fait que les hypogammaglobulinémies font partie des immunodéficiences les plus fréquentes, le dosage des immunoglobulines fait partie de la première évaluation. Ce dosage doit être interprété en fonction de l’âge du patient puisque les IgG maternelles sont présentes chez les nourrissons et disparaissent dans les premiers mois, le temps que la synthèse hépatique de l’enfant se mette en route. Il y a donc dans les premiers mois une diminution des immunoglobulines circulantes.

L’hypogammaglobulinémie

Deuxième étape, des tests plus spécifiques permettent de caractériser l’hypogammaglobulinémie : les réponses en anticorps spécifiques (comme ceux du tétanos, puisque cette vaccination fait partie du schéma vaccinal de base), la réponse au vaccin pneumocoque non conjugué (avant et après vaccination) pour les patients de 2 ans et plus, mais aussi l’analyse des sous-classes d’IgG.

Ces hypogammaglobulinémies se présentent essentiellement sous la forme d’infections respiratoires ; parmi elles, on distingue les agammaglobulinémies (où il n’y a quasiment pas de lymphocytes B circulants ni d’immunoglobulines circulantes), les hypogammaglobulinémies globales, et enfin celles où les immunoglobulines totales sont normales, mais où un déficit existe, que ce soit en un isotype comme les IgA, en une sous-classe comme les IgG1 ou IgG2, ou encore en anticorps spécifiques (tout particulièrement en anticorps anti- polysaccharides). Par conséquent, des dosages d’immunoglobulines totales et d’anticorps spécifiques sont réalisés.

Chez l’enfant, il existe deux grandes classes d’hypogammaglobulinémies avec diminution des immunoglobulines totales : d’une part l’hypogammaglobulinémie transitoire, qui est spontanément résolutive et dont le diagnostic est posé a posteriori, et d’autre part l’immunodéficience commune variable, avec diminution des IgG, des IgA et des IgM et absence de synthèse d’anticorps spécifiques. Pour cette dernière, un traitement substitutif est indispensable. Elle présente des complications telles que des manifestations auto-immunes, une lymphoprolifération et des affections granulomateuses.

Tester les anticorps spécifiques

La manière de distinguer les deux classes est de tester les anticorps spécifiques normalement présents chez des enfants du même âge sans hypogammaglobulinémie, qui sont présents en cas d’hypogammaglobulinémie transitoire de l’enfant. Seront dosés les anticorps dirigés contre les protéines, comme les anti-tétanos, et ceux dirigés contre les polysaccharides, comme les anti-pneumocoques, car ce sont des anticorps produits par deux voies différentes du système immunitaire. En effet, la réponse aux antigènes protéiques se fait par une voie « T-dépendante », faisant intervenir les lymphocytes B et les lymphocytes T pour la production d’anticorps, tandis que la voie « T-indépendante » est, elle, une réponse se mettant en place contre les polysaccharides et n’apparaissant qu’à partir de l’âge de 18 à 24 mois, ce qui rend les jeunes enfants particulièrement sensibles aux bactéries encapsulées.

Des kits commerciaux

Plusieurs kits commerciaux existent pour le dosage des anticorps antitétanos. La vaccination antitétanique et les rappels faisant partie du schéma vaccinal des enfants, si un taux bas est trouvé chez des patients, il est recommandé de revacciner et de regarder la réponse 4 semaines après. Concernant les IgG anti-polysaccharides du pneumocoque, il existe 2 types de test : un test global « 23-valent » (commercialisé) et un test avec des anticorps spécifiques de sérotypes du pneumocoque (non commercialisé). Ces tests sont utilisés pour évaluer la capacité de synthèse d’anti-polysaccharides et le type de test qui doit être utilisé dépend du type de vaccin(s) reçu(s) par le patient. En effet, les vaccins les plus récents sont dits « conjugués », c’est-à-dire qu’une protéine est couplée aux polysaccharides du pneumocoque. Cela a une influence sur les tests. En effet, le vaccin conjugué permet de répondre au polysaccharide, mais en faisant une réponse T-dépendante que les plus jeunes enfants sont, eux aussi, capables de faire. Un test global chez un patient préalablement vacciné par un vaccin conjugué ne permettra donc pas de distinguer une réponse T-dépendante ou T-indépendante, ni d’évaluer la réponse aux polysaccharides. Le dosage des anticorps spécifiques de sérotypes non inclus dans les vaccins conjugués le pourra, et nécessite deux prélèvements (un avant un vaccin anti-pneumocoque NON conjugué comme le Pneumovax, l’autre 4 à 8 semaines après).

Les deux dernières phases

Finalement, les deux dernières phases du protocole sont les tests du système du complément, des tests fonctionnels et de cytométrie, tels que l’identification des différents marqueurs de surface qui permettent, par exemple, d’identifier les divers stades de maturation des lymphocytes, et enfin les tests génétiques. La collaboration avec le laboratoire de génétique intervient en aval du travail du biologiste et met en évidence de nombreux variants ; certains ont déjà été caractérisés comme pathologiques, mais d’autres n’ont pas encore été décrits. « Après l’analyse génétique, le laboratoire de biologie vérifie avec des tests fonctionnels si ce qui a été mis en évidence par la génétique a une manifestation biologique et pourrait expliquer l’immunodéficience », souligne la Dr Smet. Un maitre mot, pour conclure : la collaboration, essentielle tant avec le clinicien qu’avec, désormais, les laboratoires de génétique.

Références

  1. Congrès annuel des biologistes belges, organisé par le Dr Jean-Michel Cirriez qui, pour sa dixième édition, en juin 2023, s’est tenu au Touquet.
  2. Laboratoire hospitalier universitaire de Bruxelles (LHUB).
  3. Tangye et al., J Clin Immunol. 2022 Oct;42(7):1473-1507.