Médecine génomique, encore beaucoup de freins
La médecine de demain reposera-t-elle entièrement sur des tests génétiques ? C’est la question posée par la journaliste Christine Colmont aux intervenants de la table ronde du 15 novembre 2022 organisée par Eurofins Biomnis : le professeur Pascal Pujol, oncogénéticien au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier, le professeur Laurent Mesnard, néphrologue à l’hôpital Tenon de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), membre de la filière des maladies rénales rares OrKiD et enseignant à Sorbonne université, le docteur Florence Riccardi, généticienne à l’hôpital Saint-Musse, au Centre hospitalier intercommunal Toulon La Seyne-sur-Mer (CHITS) et membre de la filière de Santé AnDDI-Rares (Anomalies du Développement avec ou sans Déficience Intellectuelle de causes Rares) de Toulon, et enfin le docteur Laure Raymond, pharmacienne biologiste spécialisée en génétique chez Eurofins Biomnis. Si cette technologie soulève beaucoup d’espoir et de perspectives, avec l’avènement des thérapies ciblées, « l’errance diagnostique des patients atteints de maladie rare reste très forte », déplore le Dr Florence Riccardi, citant l’étude Erradiag (errance diagnostique dans les maladies rares) de 2016 selon laquelle, sur 844 malades interrogés, la moitié « ont recherché durant au moins un an et demi leur diagnostic, un quart pendant plus de cinq ans »1.
Une révolution thérapeutique et préventive
Aujourd’hui, en oncologie, « il existe plus de 120 molécules avec AMM (autorisation de mise sur le marché) qui répondent à une anomalie génétique des cellules cancéreuses et beaucoup de progrès ont été faits sur la génétique de prédisposition », présente le Pr Pujol. C’est ainsi que, de nos jours, la prescription médicale d’analyses génétiques s’applique non seulement aux personnes malades pour déterminer le meilleur traitement adapté à la patho- logie, mais aussi aux apparentés, de façon préventive.
En néphrologie, « il y a cinq ans, beaucoup de spécialistes adulte auraient dit que la génétique ne sert à rien. Aujourd’hui au contraire, on s’aperçoit que parmi les patients les plus graves (transplantés ou dialysés) pour lesquels l’origine de la pathologie est indéterminée, un quart présentent une maladie mendélienne. C’est une vraie révolution pour la néphrologie adulte », s’enthousiasme le professeur Mesnard. Toutefois, le problème actuel est l’accès aux tests. Pourtant « Le coût du test n’est rien par rapport à celui d’une dialyse ou d’une greffe. Notre société doit se mettre dans un mode de prévention », milite-t-il.
Le dépistage néonatal a récemment fait un bond en avant avec l’ajout de sept maladies rares aux pathologies déjà dépistées à la naissance2. « Il doit s’agir de maladies avec une possibilité thérapeutique et des effets majeurs », rappelle le Dr Riccardi. La médecine prénatale représente également un fort enjeu du fait de son actionnabilité. « En cas d’anomalie échographique ou d’antécédent familial, un test génétique est souvent possible dans une optique de prévention », témoigne-t-elle. Le Dr Laure Raymond explique : « Nous avons fait un véritable bond technologique ces dernières années pour répondre à la demande de tests génétiques. La bio-informatique permet d’analyser les données, mais le côté humain reste primordial. C’est la coordination entre médecin et biologiste qui permet d’arriver au diagnostic le plus précis. » Elle déplore cependant que « l’inégalité d’accès à ces tests génétiques existe encore aujourd’hui. En cause : l’absence de remboursement de ces tests, et le manque d’informations et de formation des praticiens en mesure de les prescrire. »
Un problème économique et un manque d’informations
« La difficulté d’accès aux tests est en partie liée à un problème économique », décrit le professeur Pujol. « Le système de financement des analyses génétiques a été construit sous l’égide du Référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), conçu pour que l’innovation puisse être transférée aux patients. Les bénéficiaires en sont principalement les centres hospitaliers et les centres cancer, alors que les centres privés ou les centres périphériques ont un reste à charge ». Heureusement, cette situation est en train de changer : « Le ministère de la Santé et de la Prévention a pris conscience de cet enjeu et la Haute autorité de santé (HAS) est en cours d’évaluation sur le sujet, annonce l’oncogénéticien. J’espère que nous nous dirigeons vers une sorte de cotation, afin que l’accès à ces tests ne soit pas limité pour les malades, et que nous puissions élargir le prédictif quand on a une dimension utile. » L’inscription de nouveaux actes au RIHN et de certains actes du RIHN à la Nomenclature des actes de biologie médicale (NABM) est d’ailleurs l’un des sujets majeurs du Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2023. « Il y a une volonté du gouvernement de rembourser des panels ciblés. Ce serait une avancée majeure », projette Laurent Mesnard. Florence Riccardi approuve : « Rembourser les panels pourrait mettre le pied à l’étrier à beaucoup de médecins. »
Cela est d’autant plus vrai que les médecins sont souvent mal informés des possibilités dans ce domaine. Ainsi, une enquête récente menée auprès de 134 néphrologues français montre que seuls 12 % d’entre eux prescrivent régulièrement des analyses génétiques3. Cela s’explique majoritairement par la complexité de ces prescriptions, la méconnaissance de l’endroit où envoyer les échantillons, ainsi que le coût et le temps nécessaires. « Il y a un manque de connaissances juridiques chez la plupart des médecins, pour lesquels le consentement à l’analyse des caractéristiques génétiques et la loi sur l’information de la parentèle4 posent problème », précise le Dr Riccardi. Le rôle du généticien et du conseiller en génétique est ici majeur, notamment dans les réunions de concertation pluridisciplinaire. « Le métier de généticien est encore peu reconnu au niveau hospitalier », déplore la généticienne. Quant à la spécialité de généticien, « elle est choisie parmi les dernières par les internes, ce que je trouve incompréhensible », ajoute le Pr Pujol.
Renforcer la collaboration public – privé
Par ailleurs, « il faudrait réduire la fragmentation entre la médecine de ville, la médecine hospitalière et les centres d’expertise », constate Florence Riccardi. Le Pr Mesnard ajoute : « Il faudrait renforcer la collaboration public – privé, améliorer la transparence, lever les freins administratifs. » Il regrette la sous-exploitation des plateformes de séquençage du plan France génomique 2025 et le manque de partage des données au niveau national. « La génétique n’est plus déterministe, il faut voir ces informations plutôt comme un biomarqueur à intégrer à l’avenir dans un calcul de risque que comme quelque chose de prédictif », affirme-t-il. Le Pr Pujol conclut : « Il y a un important travail de formation des médecins et d’information des patients à faire. On n’est pas dans la médecine de demain mais dans la médecine d’aujourd’hui. »
Références
1. Enquête Erradiag, Alliance Maladies Rares, février 2016
2. Décision n° 2020.0016/DC/SEESP du 22 janvier 2020 du collège de la Haute autorité de santé portant adoption de la recommandation en santé publique intitulée Évaluation a priori de l’extension du dépistage néonatal à une ou plusieurs erreurs innées du métabolisme par la technique de spectrométrie de masse en tandem en population générale en France (volet 2), mise en ligne le 3 février 2022
3. Doreille, Villié and Mesnard, Clin Kidney J. 2022 Jun;15(6):1213-1215
4. Article R. 1131-4 du Code de la santé publique