Suivi thérapeutique des anticorps monoclonaux

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques (mAbs) ont pris une place très importante dans l’arsenal des médicaments. Leur suivi thérapeutique repose sur la mesure de leur concentration plasmatique et la recherche d’une immunisation. Il est essentiel pour la personnalisation de la thérapeutique, et spécialement l’ajustement posologique, en particulier dans les pathologies inflammatoires chroniques. « Les plus grosses ventes de médicaments1 en 2021, excepté les vaccins contre le Covid, étaient réalisées par des anticorps monoclonaux, comme l’adalimubab, un anti-TNF, et l’ustekinumab, anti-IL-12 et IL-23, tous les deux utilisés dans les maladies immuno-inflammatoires chroniques, mais aussi le pembrolizumab, anti-PD1 anticancéreux, et l’afibercept, une protéine de fusion anti-VEGF utilisée en ophtalmologie et contre le cancer colorectal métastatique », illustre le Pr Gilles Paintaud, PU-PH, chef de service Pharmacologie Médicale au CHU de Tours. « En mars 2022, 92 mAbs ont été enregistrés par l’Agence européenne du médicament, avec des indications extrêmement larges : dans les maladies immuno-inflammatoires, le cancer et de plus en plus les maladies infectieuses », ajoute-t-il. Or il ne s’agit pas, du point de vue de leur mode d’action et de leur pharmacocinétique, de médicaments comme les autres ; ce qui rend leur adaptation posologique délicate, bien que souvent justifiée. En effet, une relation concentration – effet a été bien établie dans les maladies immuno- inflammatoires, telles que la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique. Compte tenu de ses conséquences, l’apparition d’une immunisation contre le traitement est, elle aussi, à surveiller de près.

Évaluer la non-linéarité de l’élimination

« L’aspirine pèse 180 daltons, l’insuline 5 700, un anticorps monoclonal autour de 150 000 ! », pointe le Pr Paintaud. Le Dr David Ternant, du CHRU de Tours, ajoute : « La demi-vie d’élimination des mAbs est très longue, de l’ordre de 21 jours2, même si cela est variable selon les anticorps et les patients. » Leur pharmacocinétique est totalement différente des petites molécules chimiques, avec une distribution différente et l’absence de métabolisme ou d’excrétion urinaire. La variabilité pharmacocinétique s’explique par plusieurs facteurs. La clairance augmente avec le poids et le volume corporel du patient, avec à poids égal une clairance plus élevée chez les hommes. La pharmacocinétique non linéaire s’explique par l’influence de l’antigène-cible qui « consomme » l’anti- corps3. L’élimination est d’autant plus marquée que les concentrations de mAbs sont faibles et que la concentration de la cible est élevée. La non-linéarité est cependant variable d’un anticorps à un autre. Le cetuximab, anti-EGFR exprimé par toutes les cellules épithéliales, présente ainsi un phénomène non linéaire archétypal, tout comme l’eculizumab qui cible la protéine C5, protéine du système du complément produite en grande quantité par l’organisme. À l’inverse, le trastuzumab, anti-HER2, beaucoup moins exprimé, montre une non-linéarité beaucoup plus subtile4. « Le phénomène est parfois dépendant de la pathologie. Pour le rituximab, anti-CD20, le phénomène s’observe dans la leucémie lymphoïde chronique et pas dans la poly- arthrite rhumatoïde5 », prévient le Dr Ternant. Le maintien d’une dose élevée permet de saturer la cible et de contenir ce phénomène, il est donc essentiel d’évaluer la non-linéarité pour déterminer la posologie optimale. « Il a été montré récemment que les patients chez qui on cherche à maintenir des concentrations sériques suffisantes d’infliximab présentaient un taux d’échec beaucoup plus faible que ceux chez qui on ne mesurait pas ces concentrations6 », détaille le spécialiste.

Immunogénicité, dosage et immuno-monitoring

Des concentrations trop faibles d’anticorps favorisent aussi l’apparition d’une réaction immunitaire contre le traitement. Toute protéine peut en effet être immunogène et conduire au développement par les patients d’anticorps anti-médicament (ADA) qui accélèrent l’élimination des mAbs. « En général, autour d’un an après le début du traitement apparaît le risque d’une immunisation. Les paramètres pharmacocinétiques sont alors perturbés avec une augmentation de la clairance et une diminution de la demi-vie », pointe le Dr Stéphanie Chhun, du laboratoire d’immunologie biologique de l’hôpital Necker. À long terme, lorsque l’immunisation contre le traitement est présente et associée à une perte d’efficacité, le traitement doit être changé. Des stratégies sont développées pour retarder, contourner ou anticiper cette immunisation, comme l’utilisation de mAbs totalement humains ou l’ajout d’immunosuppresseurs comme le méthotrexate.

Le maintien d’une concentration suffisante de mAbs s’avère aussi déterminant. En pratique clinique, plusieurs options sont disponibles : le suivi thérapeutique pharmacologique de l’anticorps monoclonal par Elisa ou spectrométrie de masse, et l’immuno-monitoring, permettant d’évaluer l’immunisation par Elisa. « Elisa et spectrométrie de masse ont chacune des atouts. La limite de quantification est souvent plus basse en Elisa qu’en spectrométrie de masse, et ses temps technique et de rendu sont plus courts, cependant le multiplexage et les repasses sont facilités en LC/MS », liste le Dr Chhun. Il est à noter que la spécificité de l’Elisa est meilleure avec un anticorps de capture ou de détection anti-idiotypique du médicament, qui ne se lie que sur la portion hypervariable de l’anticorps. L’immuno-monitoring, un test Elisa compétitif, n’est possible que si la concentration de mAbs dans le sérum du patient est inférieure à 1 mg/l. « La raison est technique mais aussi clinique ; si la concentration de mAbs reste importante, on considère que l’immunisation, si elle existe, n’a pas d’incidence », explique le Dr Chhun. Ainsi, chez des non-répondeurs présentant une concentration inférieure à 1 mg/l, on vérifie l’observance et on recherche une immunisation. En présence d’ADA, le traitement est modifié pour un autre anti-TNF. Dans le cas contraire, la posologie des patients ayant une réponse insuffisante est optimisée par réduction de l’intervalle des injections, augmentation des doses injectées et ajout éventuel d’un immunosuppresseur.

Références
1. Top 200 Pharmaceuticals by retail sales in 2021, Haziq Qureshi, University of Arizona
2. Roopenian and Akilesh, Nature reviews immunology. 2007
3. Ternant, CPK. 2018 ; Schmitt, 2015
4. Azzopardi, 2011 ; Gatault, 2015 ; Bernadou, 2015
5. Bensalem, 2021 ; Tout, 2016
6. Syversen et al., JAMA. 2021 Dec 21;326(23):2375-2384
7. Van den Bemt, BJCP. 2013 ; Pouw, ARD. 2013 ; Cornillie, Gut, 2014 ; Cornillie, Aliment Pharmacol Ther. 2014 ; Adedokun, Gastroenterology. 2014 ; Baert, Gut, 2014