Le dépistage canin fait ses preuves

L’odorat canin est particulièrement performant : non seulement ces animaux disposent d’une muqueuse olfactive vaste, dont la surface est en moyenne 50 fois plus grande que celle des humains, mais ils possèdent aussi un autre outil olfactif : l’organe de Jacobson. Collé au palais supérieur, celui-ci réagit aux molécules volatiles. « Les chiens ont des seuils de détection atteignant 10-15 là où nos meilleurs spectromètres se limitent à 10-12. Les chiens sont donc 1 000 fois plus performants que la plus fine des machines », s’amuse Dominique Grandjean, professeur à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort et auteur de l’étude.

Ce dernier développe depuis longtemps des tests de dépistage tirant profit de ces facultés extraordinaires. En 2015, une étude de l’université d’Alabama montrait que les chiens entraînés sont capables de distinguer les cultures infectées par un virus bovin des cultures indemnes2. Au début de la pandémie, avant que les tests PCR ne soient disponibles, le chercheur a imaginé, avec son équipe, que des chiens pourraient dépister les personnes positives au Covid. Ils ont donc créé un protocole où un échantillon de sueurs prélevées aux aisselles est présenté à un chien3. « Cela évite les contaminations passives… On peut difficilement se cracher sous les bras », précise le vétérinaire. Cette preuve de concept établie, l’équipe a rapidement trouvé des collaborations.

La clé est la formation

Un entraînement de trois à six semaines s’appuyant sur des techniques de renforcement positif permet à presque n’importe quel chien d’identifier et marquer un cône d’olfaction contenant un échantillon contaminé. Les scientifiques ont développé un guide de formation de chiens renifleurs de Covid dès la fin 2020, ce qui a permis de déployer les animaux aux Émirats arabes unis et au Liban. « Les chiens étaient opérationnels dans les aéroports de Dubai, de Beyrouth et de Corse dès l’été 2020 », raconte Dominique Grandjean. Ce programme a été développé grâce au soutien financier de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la fondation Royal Canin et de la fondation Dômes Pharma.

Une sensibilité de 97 %

Pour passer à la vitesse suivante, il fallait des données cliniques, ce que la collaboration avec l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) a permis d’obtenir. Pour valider ce test, plus de 400 patients de l’AP-HP ont accepté de donner un échantillon de leur sueur : 335 ont été inclus dans l’étude, 126 ont été identifiés comme positifs au Covid par les chiens, avec un résultat confirmé pour 106 par RT-PCR. Sur les 209 identifiés comme négatifs par les dépistages canins, 206 l’étaient également par la biologie moléculaire. Ce qui donne une sensibilité de 97 % et spécificité de 91 % ; pour le sous-groupe des asymptomatiques (43 personnes) la sensibilité est de 100 % et la spécificité de 94 %. « Les chiens ne ratent rien », commente Dominique Grandjean. Constance Delaugerre, biologiste médicale virologue du CHU de Saint-Louis, a également participé à l’étude : « Ce sont des résultats très performants, nous avons aussi présenté des tampons de sueurs provenant de malades atteints d’autres infections hivernales et la réponse est très spécifique. »

Quelle application en vie réelle ?

La démarche est-elle vraiment compétitive avec les tests de biologie moléculaire ? C’est une évidence pour le vétérinaire : « On estime qu’il est possible de former 1 000 chiens pour 2 millions d’euros. Cela permettrait d’assurer 12 millions de tests par an, soit un coût de revient à 6 centimes le test. » La biologiste tempère : « Il faut aussi prendre en compte l’acceptabilité des personnes. Avec cette étude, on est par ailleurs assez loin des conditions de la vie réelle où des chiens renifleurs dépisteraient des personnes porteuses au milieu d’autres humains. » C’est bien le dépistage de foule qu’on imagine en premier, qui pourrait représenter un tri intéressant pour les hôpitaux ou les aéroports.

Malgré ces données prometteuses, l’idée peine à se développer. « Par manque de volonté politique », reconnaît Dominique Grandjean. Alors le vétérinaire se projette dans la prochaine émergence épidémique. Toutes les maladies modifient la composition des composés volatils émis par le corps… La première difficulté est de trouver le bon type d’échantillon pour les révéler. « Après, il suffit de présenter un groupe contaminé et un autre indemne pour que les chiens apprennent à les distinguer », insiste le vétérinaire. Un apprentissage à l’aveugle qui n’est pas sans intérêt. D’autres étapes seront aussi à anticiper, comme le fait d’imaginer une étude clinique reprenant cette procédure au milieu d’une foule ou celui de travailler avec les autorités réglementaires pour qualifier le test. « En l’état, ce ne sera qu’un pré-test, sa validation réglementaire est impossible », rappelle Constance Delaugerre.

 

Des nez canins dépistent le cancer, le paludisme et demain les maladies neurodégénératives ?

En modifiant la biologie des cellules, les maladies perturbent les composés volatils produits et donc l’odeur du corps. Si, bien souvent, notre nez humain ne s’en aperçoit pas, des odorats plus fins y arrivent. Depuis plusieurs décennies, la recherche s’extasie de la capacité des chiens à détecter, en reniflant l’urine, des stades très précoces de cancer de la vessie ou de la prostate, avec plus de 99 % de sensibilité et 98 % de spécificité pour ces derniers4. Mélanome, carcinome du sein, cancer colorectal… tous sont concernés par le dépistage canin.

Les chiens diagnostiqueurs sont aussi utilisés dans des contextes où l’accès à la biologie médicale est difficile. En Afrique, ils dépistent le paludisme en reniflant des chaussettes. Demain, ces auxiliaires médicaux canins pourraient aussi identifier les signes olfactifs précoces de maladies neurodégénératives, dont on commence à mesurer les effets sur l’odeur de la peau5.

 

Références

  1. Grandjean et al., PLoS ONE. 2022;17(6)
  2. Angle et al., Front Vet Sci. 2016;2:79
  3. Grandjean et al., PLoS ONE. 2020;15(12)
  4. Taverna et al., Journal of Urology. 2015;193(4):1382-1387
  5. Sarkar et al., JACS Au. 2022;2(9):2013-2022