Génomique du sport, outil pour la performance et la prévention

En 2003 est décrit un variant d’un gène, ACTN31, codant pour l’alpha-actinine des fibres musculaires, associé à une explosivité musculaire supérieure. Un test commercial est développé et la presse sportive parle du « gène du sportif ». Si cette découverte signe la naissance de la génomique du sport, le sujet est exploré depuis quelques années déjà. En 1995, le Canadien Bouchard montre que 66 % de la performance sportive s’explique par l’hérédité et la génétique2. Être porteur de variants spécifiques ne suffit pas à faire un champion, et inversement. Cependant, l’intérêt supposé de cette génomique n’a pas échappé à des acteurs aux ambitions purement mercantiles, avec des tests de peu de valeur analytique et interprétative proposés sur internet, à l’heure de l’explosion de la disponibilité des techniques NGS (Next Generation Sequencing) et alors que les seules analyses réalisées légalement en France dans le sport relèvent de la recherche académique sous comités de protection des personnes (CPP). Les professionnels du sport et de la santé, dont les biologistes, auraient donc tout intérêt à s’emparer de ce nouveau paradigme, avec des validations de données, la mise en place de guidelines et de méthodologies certifiées, pour accompagner au mieux les sportifs de haut niveau, tant en aide à la carrière que pour la prévention.

Des premières découvertes

En 1998, une étude chez des alpinistes met en évidence différents polymorphismes du gène ACE1 dont certains sont favorables à l’activité aérobie3. Ce gène, codant pour une enzyme permettant la production d’angiotensine II (système rénine-angiotensine SRA), est impliqué dans la vasoconstriction et a permis le développement de médicaments contre l’hypertension artérielle. « Le gène ACE2 , découvert lui seulement en 2000, est opposé dans le système SRA à la vasoconstriction. Les deux protéines codées par ACE1 et ACE2 régulent la pression artérielle et l’hémodynamique cardiaque et rénale. Or ACE2 est le récepteur du SARS-Cov-2. Se pose donc la question pour les Covid longs, avec adynamie prolongée, de l’implication de la balance ACE2/ACE1, comme dans la performance sportive », pointe le Pr Dine, de CentraleSupelec Paris Saclay. Dès 1993, l’Américain De La Chapelle remarque chez un champion finlandais de ski de fond une érythrocytose constitutionnelle non pathologique (ECYT1)4, avec un niveau standard d’EPO (érythropoïtine) mais une mutation rare sur le gène du récepteur à l’EPO, EPOR, au niveau des cellules érythroïdes de la moelle osseuse. Cela lui donne un avantage dans la distribution d’oxygène, alors qu’une autre mutation (JAK2V617F, exon 14) dans ce même récepteur, est, elle, à l’origine d’un cancer rare du sang, la maladie de Vaquez. Certains sportifs présentent un variant exon 12 de cette mutation qui les avantage au départ dans la pratique mais qui peut évoluer en Vaquez, d’où l’intérêt d’une vérification génomique. « En 1998, dans le cadre d’une étude sur des cyclistes du Tour de France, nous observons des hyperferritinémies et des érythrocytoses idiopathiques ou iatrogènes. Nous avons aussi travaillé sur des skieurs de fond. Nous n’avons pas retrouvé la mutation De La Chapelle mais le génotypage, comme chez des cyclistes et des coureurs à pied, montre des mutations du gène HFE (hémochromatose humaine), H63D et, dans une moindre mesure, C282Y, qui sont favorables à l’activité aérobie5 », rappelle le Pr Dine. « Ce sont des mutations conservatives dans l’espèce humaine, acquises à la fin des glaciations. Elles épargnent le fer et favorisent l’érythropoïèse et le métabolisme énergétique, notamment en altitude ». Celles-ci ont par la suite été intégrées à partir des JO de Turin dans la vérification génétique en cas de passeport biologique suspect sans contrôle antidopage EPO positif. Puis, d’autres érythrocytoses constitutionnelles (ECYT2-6), avec des anomalies sur la protéine HIF (Hypoxia-inducible Factor) au niveau du rein, stimulant la libération d’EPO naturelle, ont été décrites entre 2003 et 2021, certaines délétères avec une propension à des tumeurs du rein, mais au moins une conférant un avantage pour la performance aérobie. Ces connaissances ont permis la mise au point de molécules pour le traitement de l’anémie chez les insuffisants rénaux dialysés.

Des consortiums internationaux se sont progressivement mis en place depuis 2010. « Dans le cadre du Japanese Human Athlome Project, un polymorphisme du gène ESR1 (récepteur œstrogénique) est mis en évidence6. Il présente un intérêt dans les blessures musculaires ischio-jambières et la raideur musculaire », raconte le Pr Dine. Or, les footballeuses présentent une fréquence de telles blessures 3 fois inférieure à celle des hommes, du fait de l’imprégnation œstrogénique, alors qu’elles sont davantage sujettes à des déchirures du ligament croisé antérieur (LCA) avec des pics entre le 8e et le 15e jour du cycle. « Cela a déclenché un environnement de protection pour les sportives », pointe-t-il

… À la prévention

Le rugby et surtout le foot ne sont pas en reste avec, pour l’un le « RugbyGene Project » dès 2012 très orienté vers la prévention des blessures et, pour l’autre, la participation substantielle au financement de la recherche tant publique que privée. « Un polymorphisme de COL5A1 (rs12722), protéine de collagène avec des mutations impliquées dans le syndrome d’Ehlers-Danlos, relié à un risque inférieur de rupture tendo-ligamentaire a été découvert », illustre le Pr Dine. Il fait partie d’une combinaison à présent systématiquement demandée chez tout footballeur arrivant dans certains clubs étrangers, en Italie, Espagne, Russie ou encore Chine (COL5A1, VEGF, MCT1, ACTN3, HFE). En 2022, 220 polymorphismes d’intérêt, dont 97 robustes, 35 pour l’endurance, 24 pour la puissance, 38 pour la force et 29 pour la prévention des blessures ont été recensés7. La génomique du sport, prolongement de la génomique de la performance humaine dans une perspective évolutionniste8, présente un intérêt pour la santé de la population générale, à l’heure où nous avons gardé « un génotype permettant un certain niveau d’activité, et un niveau réel de celle-ci aujourd’hui bien moindre », prévient le spécialiste, qui cite l’exemple de variants de gènes qui favorisent l’activité physique mais qui, en cas de niveau trop faible de celle-ci, prédisposent au diabète de type 2. À l’avenir, tout un chacun pourra vouloir ainsi connaître ses prédispositions, et « il serait préférable que ce créneau soit investi par les biologistes que par des sociétés commerciales », milite-t-il.

Références
  1. Yang et al., Am J Hum Genet. 2003 Sep; 73(3):  627-631.
  2. Sarzynski et al., Med Sci Sports Exerc. 2022 May; 54(5 Suppl): S1-S43.
  3. Montgomery et al., Nature,1998, 393, 221-222.
  4. De La Chapelle et al., Lancet,1993, 341, 82-84.
  5. Dine et al., Haematologica, 2011, 96(2): 229.
  6. Kumagai et al., Med Sci Sports Exerc, 2019, 51(1): 19-26.
  7. Ahmetov et al., Advances in clinical chemistry, volume 107, 2022, 215-263.
  8. Kim et al., Nature reviews genetics 23, 40-54(2022).