Suivi biologique de la maladie rénale chronique

Le parcours du patient qui développera une insuffisance rénale commence le plus souvent par d’autres anomalies chroniques (protéinurie, hématurie, dysfonction tubulaire…), alors même que le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) est supérieur à 60 voire à 90 ml/mn/1,73 m2 (stades 1 ou 2). Plus tard viennent les stades 3, 4 et 5 de la maladie rénale chronique, à savoir une insuffisance rénale chronique caractérisée (IRC), avec un DFGe inférieur à 60 ml/mn/1,73 m2. « Depuis 2011, la recommandation officielle est d’utiliser une créatinine dosée de façon enzymatique pour pouvoir appliquer la formule EPI-CKD1,2 la moins fausse quand la fonction rénale est normale ou subnormale », rappelle le Pr Dominique Joly, néphrologue à l’hôpital Necker, lors des dernières JBC (Journées de biologie clinique).

Des éléments cliniques et biologiques nécessaires

Une problématique couramment rencontrée est de différencier une néphropathie du déclin physiologique de la fonction glomérulaire, puisque le DFGe décline avec l’âge3. Les femmes de plus de 80 ans présentent dans 50 % des cas un DFGe physiologiquement inférieur à 60. Pour trancher, des éléments cliniques et biologiques sont nécessaires : anamnèse, hypertension artérielle, protéinurie, anomalie du sédiment urinaire, cinétique de la créatinine, ce qui est le point le plus important, et éventuellement un examen morphologique rénal par échographie. La consultation néphrologique est indiquée si le DFGe est inférieur à 45, si l’on observe un déclin rapide du DFGe (≥ 3 ml/mn/1,73 m2/an) et surtout si une protéinurie est associée au déclin du DFGe. « D’où l’intérêt de couper le stade 3 de la maladie rénale chronique en deux stades, 3a et 3b avec un cut-off à 45 et la prise en compte de la protéinurie exprimée de façon ratiométrique en g/g de créatinine4, et non en g/L ou en g/24h qui sont des mesures peu fiables. N’assimilez pas protéinurie et albuminurie. L’albumine représente environ la moitié de la protéinurie. Il ne faut pas s’arrêter à une bandelette urinaire négative, qui ne détecte que l’albumine, avec un risque de laisser passer des anomalies », pointe le spécialiste. Il existe un continuum entre l’albuminurie et le risque rénal et cardiovasculaire, les valeurs seuils de 30 et 300, qui ont été données pour borner la microalbuminurie, sont donc totalement arbitraires. Chez beaucoup de patients à risque rénal ou cardiovasculaire, l’objectif est bien de réduire l’albuminurie quelle qu’elle soit.

Analyser plus finement les bilans prescrits

Des recommandations existent, avec un guide PNDS (protocole national de diagnostic et de soins) du parcours de soins5, comportant un tableau récapitulatif des éléments biologiques à suivre avec leur fréquence, selon le stade de la maladie rénale chronique. Le bilan indiqué dans ce guide recouvre des analyses incontournables, mais pas toujours suffisantes. « Ainsi, en biologie, on attend de suivre régulièrement les conséquences de l’insuffisance rénale chronique : potassium, réserve alcaline, bilan phosphocalcique et hémoglobinémie », estime le Pr Joly.

L’hyperkaliémie dans l’IRC est tardive (DFG ≤ 15 ml/mn), modérée (< 6 mm/L) et non rapidement évolutive. « Il faut être vigilant aux fausses hyperkaliémies liées au prélèvement, éviter les garrots et le prélèvement à domicile », pointe le néphrologue. L’acidose métabolique survient car les reins ne fabriquent plus le bicarbonate nécessaire pour tamponner l’alimentation. L’apport de bicarbonate, pour un maintien entre 23 et 27 mmol/L, est l’une des corrections les plus importantes, qui ralentit la progression de l’IRC, protège les os, les artères et les muscles.

L’anomalie du métabolisme phosphocalcique (calcium, phosphore, PTH – Parathormone -, vitamine D) chez l’insuffisant rénal chronique est l’hyperparathyroïdisme secondaire6, avec différentes anomalies qui apparaissent aux stades 2 à 5, associées à des problèmes osseux, des anémies, à un risque cardio- vasculaire et à un risque de mortalité accru7. La supplémentation en vitamine D est associée dans de nombreuses études à une réduction de la mortalité globale chez les dialysés. Les autres anomalies phosphacalciques ne peuvent pas être traitées sur la base d’une seule valeur isolée8. S’agissant du calcium, du phosphore et de la PTH, les variations intra-individuelles sont trop importantes. Il faut donc tenir compte de l’écart par rapport à la valeur normale, du nombre de valeurs anormales et éventuellement de la cinétique. L’anémie chez l’insuffisant rénal découle d’une moindre synthèse rénale d’érythropoïétine, la principale conséquence étant une baisse de la qualité de vie (asthénie, dyspnée, libido), sans morbidité cardiovasculaire ou mortalité accrue. L’objectif biologique est une Hb entre 11 et 12 g/dl. La définition de la carence martiale est un peu particulière chez l’insuffisant rénal (carence absolue : CS < 20 %, ferritine < 100 ng/ml, ou fonctionnelle : CS < 25 %, ferritine < 200 ng/ml) et l’apport de fer est quasi systématique.

Enfin, le biologiste joue un rôle important dans le suivi de la nutrition. Au-delà d’un IMC de 25, le pronostic rénal d’une néphropathie chronique non dialysée est altéré, mais curieusement l’IMC associé à la mortalité la plus faible chez un patient dialysé est de 40. L’objectif est donc double : lutter contre la dénutrition chez le dialysé, avec comme principal élément biologique l’albuminémie et son évolution, et chez les non-dialysés, lutter au contraire contre les excès. Le biologiste aide à repérer les gros mangeurs grâce au ionogramme urinaire (hors PNDS) qui permet d’estimer les apports protidiques en g/j, en l’absence de prise de corticoïdes et d’infection, tout comme les apports sodés, si le poids est stable.

Quand démarrer la dialyse ?

La biologie ne répond pas complètement à cette question fondamentale pour beaucoup de patients. En faveur d’une stratégie ” attentiste “, une étude randomisée contrôlée9 a montré que la mortalité était équivalente entre une dialyse tardive et précoce. La stratégie en France est donc d’attendre le plus longtemps possible, jusqu’à ce que les patients développent des symptômes urémiques débutants, les premiers d’entre eux étant la perte d’appétit et la perte de masse maigre. En pratique, bien qu’il soit indiqué dans les comptes rendus biologiques ” insuffisance rénale terminale ” pour un DFGe < 15, la majorité des patients en France débute la dialyse entre 8 et 10 ml/mn, parfois un peu plus tôt s’ils ont un syndrome cardiorénal.

Références

  1. Levey AS et al., Ann Intern Med, 2009 May 5; 150(9): 604-12.
  2. Diagnostic de l’insuffisance rénale chronique. HAS. Juillet 2012.
  3. Wetzels JFM et al., Kidney Int, 2007 Sep; 72(5): 632-7.
  4. Ixet et al., Clin JASN, 2011, Jan; 6(1): 184-91.
  5. Guide parcours de soins maladie rénale chronique de l’adulte. HAS. 15 mai 2012.
  6. Finn WF. J Am Soc Nephrol, 2004.
  7. Drechsler C et al., European Heart J, 2010, 31, 2253-61.
  8. Houillier et al., Clin J Am Soc Nephrol, 2010, 5: 1161-1162.
  9. Cooper et al., NEJM, 2010.